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Crutch

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Envoyé par Crutch le Vendredi 06 Septembre 2019 à 14:42


Un petit article sur Alphaville, dans le cadre d'un dossier sur la dystopie:

Alphaville : La dystopie façon Nouvelle Vague

Un projet collisionnant les genres

Quand Jean-Luc Godard réalise Alphaville : Une Étrange Aventure de Lemmy Caution en 1965, le moins qu’on puise dire est qu’il exerce son goût du collage à des niveaux insoupçonnés. Le film fonctionne comme une reprise décalée des films noirs : Eddie Constantine interprétait le rôle de Lemmy Caution, agent du F.B.I. travaillant sous couverture, dans une série de films pleins de bagarres, de boissons fortes et de femmes fatales, adaptés de la Serie Noire, dans les année 50 et 60. Sauf que dans ce film, le personnage de Lemmy Caution, toujours joué par Eddie Constantine, est envoyé en mission secrète dans un univers dystopique. Alphaville se place dans un monde futuriste ou le voyage spatial semble exister, et où la division entre Ouest et Est de la guerre froide est bien plus diffuse suite à l’émergence d’une nouvelle puissance : Alphaville, fondée par des scientifiques dissidents des deux camps selon des principes logiques et mathématiques sensés éliminer les mauvais penchants de l’être humain. Lemmy Caution est envoyé à Alphaville pour neutraliser le professeur Von Braun, qui contrôle la ville à l’aide d’un ordinateur surpuissant, Alpha 60.

Des parti pris forts

La dystopie est mise en rapport avec plusieurs éléments incongrus, comme des références trans-médiatiques (Lemmy Caution cite dans un dialogue ses collègues Dick Tracy et Guy L’Éclair (aka Flash Gordon) héros de serials noirs ou de science-fiction), des reprises du Orphée de Cocteau et des citations littéraires et philosophiques en pagaille, qui contrastent fortement avec l’image d’un personnage baroudeur et plus porté sur la violence que sur l’introspection. Et ce contraste se retrouve dans la représentation de ce futur dystopique : Godard tourne le film dans les décors réels du Paris de 1965, utilisant l’architecture moderniste de la toute nouvelle Maison de la Radio et du siège social de Esso à La Défense. Le film présente dans sa diégèse un futur dystopique, mais utilise les décors réels pour faire passer un message sur le monde : ce futur est celui dans lequel le spectateur est en train de commencer à habiter. Et curieusement, ce choix très audacieux rend le film moins daté que s’il avait été tourné avec des costumes ou des décors futuristes. La photo en noir et blanc pleine de contrastes de Raoul Coutard, et les expérimentations visuelles et sonores de Godard suffisent à suffisamment déréaliser l’action (des enseignes au néon emplissent l’écran, les voix ne correspondent pas à l’action présentée, des plans en négatif perturbent la lisibilité) pour que l’alliance entre étrangeté et familiarité prenne.

Une influence incontestable sur le genre

Un autre des éléments très importants d’Alphaville est la confrontation qu’il met en scène entre l’humain et la machine, un thème qui aura une fortune considérable dans la science-fiction et dans la dystopie. 3 ans avant 2001, l’Odyssée de l’Espace, Godard filme l’ordinateur intelligent avec un voyant lumineux circulaire clignotant et une voix interrogeant et se confrontant au personnage. Les humains vidés d’émotions par la dictature scientiste font penser à THX 1138. Et l’acclimatation entre science fiction et film noir peut évoquer Blade Runner (Lemmy Caution vient des « pays extérieurs », là ou les réplicants arriveront depuis les « colonies extérieures » chez Ridley Scott)

L'aspect politique

Le commentaire politique de la dystopie vient ici du fait que la société « parfaite » d’Alphaville, fondée par dégoût des idéologies, est elle aussi une impasse : Godard réfléchit beaucoup dans les années 60 sur l’influence sur sa génération du capitalisme et du communisme (Un an plus tard, il parlera des « Enfants de Marx et de Coca-Cola » dans Masculin Féminin.). Mais ici, il semble dénoncer une dérive technocratique qui s’enfonce dans ce qu’elle dénonçait auparavant en supprimant le libre-arbitre avec des méthodes tout aussi coercitives que les idéologies sus-mentionnées : L’exécution des dissidents est à la fois planifiée et dictatoriale, et donnée comme un spectacle pour distraire les foules, comme une alliance entre les deux systèmes de domination, soft power et hard power.

La dystopie est utilisée comme un commentaire sur la modernité, où la science et la technique risquent de rendre les humains aussi prisonniers, voir plus qu’ils ne l’étaient sous les idéologies : une pensée qui est bien plus actuelle de nos jours, où le capitalisme a assimilé la logique technocratique pour convaincre de la dimension rationnelle de l’économie mondialisée et où le big data en sait plus sur nous que les plus performants services secrets.

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Borislehachoir

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Envoyé par Borislehachoir le Dimanche 08 Septembre 2019 à 23:20


Combat sans code d'honneur (Kinji Fukasaku, 1973)

Durant son incarcération pour le meurtre d'un yakusa, Hirono Shozo aide Hiroshi Wakasugi, un yakuza de la famille Doi, à sortir de prison. À sa sortie, Hirono et ses amis (Sakai, Kanbara, Shinkai, Arita et Yano) forment leur propre famille sous le commandement de Yoshio Yamamori. Yamamori double Doi en truquant le résultat d'une délibération municipale. ​

Revu pour la troisième fois ce grand classique du film de yakuza et je peux dire qu'en ce qui me concerne le charme opère comme au premier jour. La moitié des scènes de ce film mériteraient qu'un article leur soit consacré : l'introduction menée à un rythme effréné jusqu'à ce moment ou Hirono tire sur un yakuza enragé avec un flingue qui s'enraye ; le meurtre de Doi par Hirono qui lui vide un chargeur entier dessus pendant que la caméra pivote, l'assassinat d'Ueda chez le barbier, les règlements de comptes entre les bandes de Shinkai et Sakai, le meurtre de Sakai à la sortie du magasin….
Fukasaku avait déjà mis à mal la figure du yakuza chevaleresque dans Okita le pourfendeur, dans lequel Bunta Sugawara crevait l'écran ; si cette veine donnerait lieu au chef d'œuvre absolu du réalisateur (Le Cimetière de la morale), Combat sans code d'honneur est le sommet d'une autre tendance, celle des films du réalisateur ou des yakuzas intègres sont confrontés à une hiérarchie sans scrupule et à une corruption généralisée du milieu. Hirono, héros fascinant de charisme, deviendrait le temps de 5 films le symbole du yakuza en lutte désespérée face au système, constatant malgré lui la marche d'un capitalisme triomphant qui ne laisse aucune place aux traditions.

La Tombe de Ligeia (Roger Corman, 1964)

L'Angleterre, 1821. Verden Fell rencontre Rowena Trevanion, une jeune femme qui ressemble étrangement à sa défunte épouse, Ligeia Fell. Ils ne tardent pas à tomber amoureux et se marient. Petit à petit, la ressemblance entre Rowena et Ligeia s'accentue…

Huitième et dernière adaptation (parfois lointaine) d'Edgar Poe par Roger Corman. On peut noter ici l'utilisation de décors naturels pour une partie du film qui changent plaisamment du décorum gothique habituel de ce type de productions, décorum qui reviendra lors d'une fin très Hammer (le chef opérateur Arthur Grant avait tourné de nombreux films du studio anglais). L'autre bonne surprise, c'est Vincent Price qui dans un rôle plus nuancé que d'habitude réussit à composer un personnage vraiment attachant, et ce d'autant plus que sa comparse Elizabeth Sheperd parvient elle aussi à donner de l'ampleur au personnage féminin. J'ai toujours un peu de mal avec le côté très psychanalytique des Corman/Poe (rêves, substituts, symbolisme appuyé) et avec les scénarios étirant des nouvelles de vingt pages sur une heure et quart mais le film est esthétiquement très beau (dire qu'il s'agissait de productions fauchées !) et permet à Vincent Price de montrer l'étendue de son registre dramatique. Recommandé.

La Cible (Peter Boganovich, 1968)

Tandis que l'acteur Byron Orlok (Boris Karloff) annonce sa retraite au grand désespoir du réalisateur Sammy Michaels, un jeune homme, Bobby, vétéran du Vietnam et assureur, se prépare à commettre une série de meurtres, tuant d'abord sa femme puis sa mère… ​

Pour comprendre le film il faut comprendre son contexte de production : Boris Karloff devait deux jours de tournage à Roger Corman, qui embaucha Bogdanovich pour tourner tout ça. Bogdanovich eut alors l'idée de faire deux films en un : un film, pratiquement post-moderne, ou Boris Karloff joue le rôle de…. Boris Karloff en fait (on y voit des extraits de vieux films de Karloff, un dialogue mentionne le fait qu'on " aurait pu engager Vincent Price "), acteur décidant de prendre sa retraite ; et un film froid et violent sur un serial killer qui anticipe la veine réaliste du genre (Henry, portrait d'un serial killer ou La Panthère noire). Les deux convergent à la fin et Bogdanovich confronte deux formes de violence, une ritualisée, victorienne, datée et presque rassurante ; de l'autre la violence de tous les jours, sans motif, sans grandiloquence. En faisant de Karloff un héros (il agit de manière décisive) Bogdanovich semble suggérer que la représentation de la violence au cinéma ne causerait pas la violence quotidienne mais au contraire permettrait d'écarter la violence réelle. 
On pourrait noircir des pages de théories sur ce qui est certainement, avec les films de Monte Hellman, une des productions Corman les plus atypiques. En tout cas, le film est fascinant et permet de comprendre pourquoi Bogdanovich s'est retrouvé si jeune pressenti pour réaliser Il était une fois la révolution… même si le projet allait très mal se passer. Dans le livre que Sir Christopher Frayling lui a consacré, Leone crache sur la Cible, comme quoi Leone pouvait décidément être très con.

The Big Boss (Lo Wei, 1971)

Cheng Chao-an (Bruce Lee), un jeune émigrant chinois part chercher du travail en Thaïlande. Il pratique le kung-fu mais a promis à sa mère de n'utiliser contre personne ses aptitudes au combat. Embauché dans une fabrique de glace, Cheng découvre peu de temps après que son usine sert de façade à de redoutables trafiquants de drogue qui n'hésitent pas à tuer leurs ouvriers et les curieux. Il rompra finalement sa promesse pour lutter seul contre les trafiquants et déjouer leurs agissements.

C'est sans doute culte parce qu'il s'agit du premier grand rôle de Bruce Lee mais il faut être honnête en l'état il n'y a à peu près rien qui va. Pour expliquer les (gros) problèmes :
1) Bruce Lee en quasi neuneu pacifiste ne donne pas le meilleur de lui-même. Bruce Lee n'est jamais aussi fascinant que lorsqu'il est en mode enragé, mode qu'il trouve ici un quart d'heure avant la fin.
2) L'intrigue sentimentale est calamiteuse.
3) Lo Wei est un très mauvais metteur en scène qui multiplie les faux raccords dès que ça bouge un peu et semble penser qu'un combat n'est jamais aussi cool que quand tu filmes tout le monde à dix mètres de distance.
4) Le scénario est non seulement très bête mais en plus les personnages ont toujours trois plombes de retard sur le spectateur, qui sait très vite que le boss est un pourri absolu pendant que Bruce Lee et ses copains jouent les négociateurs.
Bref, un film qui frôlerait le naufrage si il n'y avait pas Bruce Lee pour délivrer quelques beaux moments d'action sur la toute fin. Mais c'est quand même très mauvais.

La Fureur de vaincre (Lo Wei, 1972)
 
Après de longues vacances, Chen Zhen (Bruce Lee) rentre dans son école de kung-fu, et y découvre que son maître, Huo, est mort. Peu de temps après, les représentants d'une école japonaise rivale viennent humilier l'école de Chen Zhen en leur donnant un écriteau sur lequel est inscrite une insulte raciale envers les Chinois. Le lendemain, Chen Zhen décide seul d'aller voir l'école japonaise, et de leur rendre leur écriteau. Les Japonais, trouvant Chen Zhen trop téméraire, le défient : Chen Zhen bat tous les élèves de l'école, sans avoir une égratignure. Il découvre, un soir, que l'une des personnes de son école faisait partie des Japonais, et qu'elle a empoisonné le maître Huo. Chen Zhen va déchainer sa fureur, jusqu'à tuer, et à devoir se déguiser pour ne pas être reconnu par la police.

Une bonne partie des reproches faits à The Big Boss pourraient être également faits à La Fureur de vaincre : scénario inepte (avec ici le racisme anti-japonais en plus), mise en scène approximative de Lo Wei (quand même meilleure ici), mauvaise intrigue sentimentale….
Pourtant, la Fureur de vaincre prend bien mieux. Déjà parce que contrairement à The Big Boss le film est bien plus rythmé et enchaine les scènes martiales absolument mémorables (on y verra pour la première fois Bruce Lee armé d'un nunchaku ou affronter à mains nues l'américain Robert Baker, débutant avant Chuck Norris sa série de combats contre des amerloques pas contents). Martialement, c'est sans doute le film qui met le mieux en valeur Bruce Lee ; et si le scénario fait de lui, contrairement à The Big Boss, un absolu psychopathe (c'est le film d'arts martiaux ayant le moins l'esprit martial au monde : Bruce Lee frappe des mecs à terre, leur explose les couilles, bute plein de gens à mains nues…. la violence du film est dingue !), c'est dans ce type de rôles que l'acteur est le plus à l'aise, le plus charismatique. La Fureur de vaincre a beaucoup de défauts mais reste LE film de Bruce Lee qui fait ici un génocide de japonais en se montrant plus flippant que jamais (quand il fait bouffer la pancarte raciste à deux sbires avant de les prévenir que la prochaine fois ils mangeront le verre  ).

Boris.

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Crutch

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Envoyé par Crutch le Lundi 09 Septembre 2019 à 13:52


Bien d'accord sur Combat... (évidemment) et La Cible, bon exemple de film qui réussit à être à la fois très théorique et extrêmement prenant (les séquences d'assassinat sont glaçantes)

Autre article, sur les musiques de western d'Ennio Morricone, là aussi dans le cadre d'un dossier (d’où la référence à un autre article en conclusion) :

Si la carrière monumentale d'Ennio Morricone (plus de 500 compositions) passe par presque tout les genres de films, il n'est pas invraisemblable de dire que c'est pour ses musiques de western qu'il a été le plus remarqué et célébré. Bien que la collaboration avec Sergio Leone, pour 4 westerns (ainsi que, hors du genre, les deux derniers volets de la trilogie Il était une fois... ) ait été parfois vue à la fois comme le début et l'apogée de la carrière de Morricone, un examen plus attentif révèle que les compositions de Morricone pour le western précédent son travail avec Leone, et qu'au delà de Leone, il signe dans les années 60 et au début des 70 de nombreuses compositions pour le western italien ou américain : plus de 30 westerns ont une bande originale composée par Ennio Morricone, et il a souvent revendiqué en interview que chaque partition est l'occasion pour lui de se frotter à des défis nouveaux : faisant une distinction entre musique absolue (celle des concerts) et musique appliquée (celle utilisant un sujet, ici composée pour un film), il recherche toujours à adapter son style aux besoins du film. Chaque composition est donc pour lui l'occasion d’expérimenter, ce qui lui permet ensuite de remployer des idées : le thème à la trompette de Pour une poignée de dollars, qui devait rappeler le Deguello de Dimitri Tiomkin pour Rio Bravo, vient d'une de ses anciennes compositions pour la télévision, et il avoue que Leone « choisissait toujours parmi les musiques rejetées par les autres metteurs en scène. »

Ennio Morricone a été présenté à Sergio Leone par son producteur suite à sa composition pour Duel au Texas en 1963. De l'avis des deux, c'est une musique reprenant de manière quasi-plagiaire les caractéristiques des musiques hollywoodiennes. Le thème principal, d''abord joué à la guitare, puis repris par un orchestre à cordes et percutions, est tout de même très entraînant, mais la chanson « A Gringo Like Me », pleine de clichés et vocalisée par un certain Dicky Jones, fait ressentir la piètre opinion qu'avait les deux futurs complices de ces premières armes.

Sur leur collaboration dans Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965), Le bon, la brute et le truand (1966) et Il était une fois dans l'Ouest (1968), tout a déjà été dit : l’électrochoc que ces succès populaires furent pour la composition de musique de films est très bien documenté. Morricone fait se percuter la guitare électrique et l'orchestre classique, le sifflement et les chœurs, inclut les bruits de coup de feu, de claquement de fouets et de cloches funèbres. Leone utilise de brèves ponctuations sifflées pour mythifier le personnage mystérieux qui starifie Clint Eastwood, et étend ce procédé de signature musicale dans les autres films : ce sera une flûte dans Et pour quelques dollars de plus, et Le bon, la brute et le truand (dans ce film, Sentenza/Œil d'ange est quand à lui ponctué par un ocarina, et Tuco par la voix « de coyote », vocalisée en duo, issue du thème principal)


Un autre des points importants du travail musical de Morricone chez Leone est l’utilisation de thèmes évolutifs à forte valeur narrative. La musique de la montre dans Et pour quelque dollars de plus est d'abord jouée au carillon, puis elle enfle au-delà du son diégétique de différentes manières selon la scène : pour signifier d'abord la maîtrise et le sadisme d'El Indio ( dans « Chapel Shootout », Morricone dégaine l'orgue pour une parodie du « Toccata et fugue en ré mineur » de Bach) puis la violence traumatique de son crime (via des réverbérations atonales où les notes composant la musique originelle sont comme jouées au hasard) et enfin la vengeance du colonel Mortimer, au son de la guitare lors de l’interruption de Clint Eastwood, puis avec de martiales trompettes et tambours dans « La resa dei conti »

Ce travail atteint un véritable apogée dans Il était une fois dans l'Ouest, où la musique de Morricone, composée à l'avance, est jouée sur le plateau et rythme l’interprétation comme le déplacement de la caméra. Chaque personnage à son thème, sauf Harmonica, qui joue sa propre musique : à la fin, son thème se superpose au thème de Frank et le complète lors du flashback révélateur.


Tout ceci est bienconnu, mais pendant ces quatre ans, Morricone ne chôme pas : outre les Leone, il compose pour 14 western italiens, et pas des moindres. Si la marche de Mon colt fait la loi (1964) est très classique, et celle de Sept écossais au Texas (1965) limite parodique, le thème chanté du Retour de Ringo (1965) de Duccio Tessari, « Because we are fearless men » est quand à lui de toute beauté et mérite d’être inclus dans ses grandes réussites.

L'année 1966 marque le début d'une collaboration avec Sergio Corbucci, qui durera 7 westerns. Si le séminal Django (1966) de Corbucci est accompagné d'une magnifique composition de Bruno Nicolai (d'ailleurs ami et collaborateur de Morricone), les autres westerns de Corbucci seront accompagnés des thèmes d'un Morricone très inspiré : la musique de Navajo Joe (1966) est pleine d'une énergie baroque, utilisant des bases percussives pour de grandes envolées opératiques. Les Cruels (1967), plus calme, utilise des compositions centrées sur la trompette pour des ambiances sudistes, dont plusieurs seront reprises dans Django Unchained de Tarantino.

Mais c'est en 1968 que Corbucci filme Le grand silence, qui permet à Ennio Morrcone de changer radicalement d'ambiance : ce film est un western enneigé, prenant place dans les montagnes de l'Utah. Jean-Louis Trintignant est Silence, un pistolero muet mais aux réflexes d'acier, qui s'oppose aux chasseurs de primes menés par Tigero, interprété par un Klaus Kinski monumental en tueur poli et sur de lui, bien déterminé à flinguer tout ce qui peut lui rapporter une prime. Le contexte glacial et la noirceur du scenario inspire une musique plus lente, hivernale, faisant une belle place à la guitare sèche et au violon soliste, ou les chœurs et les clochettes se font à la fois requiem et berceuse. C'est une composition exsangue, ou le baroque tonitruant des compositions leonienes s'inverse pour favoriser des ambiances intimes, aux consonances religieuses. Morricone la cite comme sa musique de western favorite hors de celles écrites pour Leone, ce qui n'est que justice pour le meilleur western italien... hors de ceux réalisés par Leone.

Petit retour en arrière pour se concentrer sur les collaborations avec le troisième grand Sergio : Sollima, dont les excellents westerns sont aussi l'occasion de deux grandes partitions de Morricone : Colorado (1966), avec Lee Van Cleef et Tomas Milián, a un thème principal (« Run man run ») à l'orchestration très leoniene, mais accompagné par un magnifique chant de Christy (Maria Cristina Brancucci). On remarque aussi une utilisation très riche des instruments à vent, avec une opposition trompette mexicaine/cor de chasse qui symbolise la fuite du paysan mexicain accusé à tord par les puissants. C'est aussi l'occasion pour le compositeur de s'adonner à une de ses marottes : la reprise de grands thèmes classiques : le duel final s'accompagne d'une composition s'articulant autour de La Lettre à Elise de Bethoveen, enrichie d'accords de guitare à la mexicaine et de percutions claquantes : un vrai choc des cultures.

La collaboration continue avec Le Dernier Face à Face (1967), un des tout meilleurs westerns italiens, au thème principal marquant : une marche avec chœurs féminins, puissante et mélancolique, sans excès, ou les instruments se répondent à la suite, comme pour illustrer la trajectoire croisée des deux protagonistes. Une reprise de ce thème en ostinato (une composition répétant le même élément rythmique en boucle), d'abord à la guitare sèche, puis au violon, puis à la guitare électrique, avant d'introduire l'orchestre, permet de rendre l'évolution progressive de la violence chez le personnage d'intellectuel joué par Gian Maria Volonté.


Avant de revenir sur Corbucci, évoquons une rareté : Ciel de plomb (1968) de Giulio Petroni s'ouvre sur un doux thème à la guitare et sifflé, auquel les vents et cordes de l'orchestre s’ajoutent avec douceur : la séquence générique, où Giuliano Gemma et Mario Adorf enterrent sans un mot les morts d'une attaque de diligence, tranche avec les ouvertures tonitruantes dont le genre est familier.

Morricone et Corrbucci rempilent pour la Trilogie de la révolution : El Mercenario (1968), Compañeros (1970) et Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? (1973), entrecoupé de Far West Story (1972). Le thème de El Mercenario, « L'arena », fut repris dans Kill Bill II (2004) lorsque la Mariée sort de la tombe. Son ouverture sifflée, ses percutions obstinées et sa trompette flamboyante se marie bien à l'ambiance à la fois roublarde mais au fond très empathique du film de Corbucci. Il franchit un cap dans l'enthousiasme révolutionnaire avec Compañeros : le générique chanté, « Vamos a matar, Compañeros ! », est un des morceaux les plus euphorisants de l'œuvre de Morricone, un festival où toutes ses marottes se retrouvent à la suite : sifflets, harmonica, rythmes latins, pointes de violons, goût du décalage avec l'orgue, et un peu de guitare électrique et de cris tout droit sortis du Bon, la brute et le truand pour épicer le tout. « Il pinguino », le thème de Franco Nero, a de grandes ressemblances avec celui de Cheyenne dans Il était une fois dans l'Ouest, mais Morricone, généreux, nous offre de nombreuses variations instrumentales (« Il pinguino, pt.2 » et sa guitare électrique, « [..] pt.3 » et son violon herrmannien).

Il suffit de comparer cette folie avec le « Viva la Revolucion » issu de Trois pour un massacre/Tepepa (1969), autre western révolutionnaire, une marche où Morricone insère du clavecin pour un résultat certes très réussi, mais bien plus classique : les rythmes latins n'y font qu'une apparition fugitive, dans ce qui pourrait tout aussi bien être la musique d'un film en costumes.

Pour boucler la trilogie, Mais qu'est que je viens..., est un peu hors de notre corpus, puisqu'il n'a de western que le contexte de révolution mexicaine, et tiens plus de la comédie à l'italienne : les héros n'y sont pas des pistoleros, mais un prêtre et un acteur qu'une série de quiproquos amènent à jouer un rôle inattendu dans la lutte révolutionnaire. Morricone retravaille la ligne de guitare de « Il pinguino » et brode une partition plus ample, aux accents forains, qui évoque les multiples déguisements qu'endosseront les protagonistes.


Au début des années 70, le western italien commence à s’essouffler, et Morricone compose moins pour le genre, devenu comique : il compose pour On m'appelle Providence (1972), et sa suite On continue à m’appeler Providence (1973), un thème aux accents rock plutôt bouffon, et se concentre sur les productions Leone, comme Mon Nom est Personne et Un génie, deux associés et une cloche.

C'est aussi l'occasion de composer une musique pour un western américain : Sierra Torride/Two Mules for Sister Sara de Don Siegel en 1970, avec un Clint Eastwood auréolé de ses rôles chez Leone. Il utilise un piccolo et un basson pour créer des bruits de mule, qu'il dispose autour de chants religieux : un partition encore une fois très inventive, mais qui sera quasiment sans suite : sa deuxième musique pour un western américain fut celle... des Huit Salopards en 2015. Après de très nombreuses utilisations des musiques de Morricone, Tarantino a le luxe d'une partition inédite, hivernale et angoissante qu'il enrichit de thèmes non utilisés issus de ses compositions pour les films d'horreur, un sujet qui sera abordé dans l’article suivant.
 

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kakkhara

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Envoyé par kakkhara le Mercredi 11 Septembre 2019 à 14:10


A mon tour de présenter quelques visionnages : 

Le ministère de la peur (espions sur la tamise selon l'édition dvd) (Fritz Lang, 1944)

-Stephen Neale sort de son incarcération dans un hôpital psychiatrique, bien déterminé à se mêler à la foule à nouveau et à vivre heureux. Seulement, le sort en décidera autrement, lorsqu'il se retrouve au centre d'une inquiétante affaire.

-L'adaptation d'un roman de Graham Greene, que je n'ai pas lu, donc je ne peux pas dire ce qui vient du matériau original et ce qui est purement de Lang. C'est un film virtuose, sorti donc à une époque où le sujet, conspiration nazie, est loin d'être neutre. Il y a un dans l'édition dvd une analyse intéressante de Jean Douchet montrant à quel point ce film peut être vu pour son côté pur divertissement tout en cachant une structure bien plus soignée, ce qui tendrait d'ailleurs à rapprocher de Graham Greene. Il y a bien sûr la mise en scène soignée, le beau noir et blanc et ses effets de lumière, notamment lors d'une extraordinaire scène de spiritisme, et les ingrédients classiques du film d'espionnage, méchants hauts placés insoupçonnables, coups de feux et coups bas, fuites, filatures et poursuites, l'indispensable belle jeune femme. En clair un très bon film d'espionnage.

Solo (Jean-Pierre Mocky, 1970)

-Vincent Cabral cherche son frère qui est recherché par la police, ayant commis un attentat contre la bourgeoisie

-Un film en colère après mai 1968, où des étudiants veulent massacrer d'infâmes bourgeois parthouseurs, oscillant entre la catharsis jouissive et burlesque et la nostalgie, porté par une belle musique signée Moustaki. C'est une réussite parce que tous les éléments, de comédie, de drame, de satire sociale, se combinent très bien ensemble, donnant un polar original et cru qui reprend les éléments habituels de Mocky en les sublimant.

La piste fatale (Roy Ward Baker, 1953)

-Carson est abandonné dans le désert avec une jambe cassée par sa femme et un employé, l'amant d'icelle.

-Film plutôt chouette, il faudrait voir ce que donnent les décors en 3D étant donné que le film est sorti ainsi, mais même en 2D les pérégrinations de Rober Ryan avec sa jambe cassée, soutenu par son idée de vengeance, sont bien faites, malgré il me semble une flagrante erreur de scénario à un moment.
Le film est en deux parties qui s'entremêlent, celle avec  Robert Ryan luttant contre la douleur, la faim et surtout la soif, et celle avec les deux amants, la femme s'inquiétant, l'amant plus tranquille, les transitions entre les deux, bien faites, s'enchaînant en miroir.
Un bon divertissement, un peu film noir, un peu western

Taza, fils de Cochise, (Douglas Sirk,1954)

-A la mort de Cochise, Taza reprend le flambeau et accepte de déplacer son peuple dans la réserve de San Carlos, pourtant pauvre en ressources naturelles. Le rôle de Taza devient difficile lorsque, devenu membre de l'armée américaine pour surveiller et protéger son peuple, il doit supporter Géronimo, capturé mais toujours aussi belliqueux.

-Seul western de Douglas Sirk, ce n'est pas non plus l'un des grands films du réalisateur, en cause une accumulation de clichés, qui paraissent durs à accepter alors que le film se place dans la continuité de La Flèche brisée. En vrac, les bons indiens sont ceux qui ne résistent pas aux blancs qui veulent leur bien, quand bien même ce bien serait les faire vivre sur des terres arides en dépit du bon sens. Les blancs peuvent être bêtes parfois, mais seuls les indiens peuvent être vraiment méchants, d'ailleurs ce sont ceux qui veulent l'indépendance de leur peuple qui le sont.
Et à part ça? Le film est malgré tout bien réalisé, l'attaque du fort est magistrale, il serait là aussi intéressant de voir ce que ça donne en 3D puisque le film est fait pour également, presque mieux que l'indispensable affrontement final, qui n'en est pas moins assez impressionnant. Rock Hudson en indien, on aime ou on n'aime pas, mais Barbara Rush offre une composition magistrale, quand bien même elle ne ressemble pas à une indienne. Il y a aussi les duels, complots, vendeurs d'armes peu regardants, amours et trahisons,amitiés viriles, beaux paysages, bref, tout ce qui fait le charme du western.

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"_Je joue attirance mortelle sur mon pisteur invisible et je t'attaque avec.
_ouais, j'ai pris 1
_ok ..."


Crutch

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Envoyé par Crutch le Jeudi 12 Septembre 2019 à 23:17


Un gros article sur Tsui Hark, qui était originellement suivi d'une analyse de The Blade écrite par un camarade, sinon j'aurais sans doute casé un plus long développement dessus.


Tsui Hark est (principalement) un réalisateur et producteur hong-kongais. La richesse de sa carrière se laisse difficilement enfermer dans une simple description, d'autant que Tsui Hark cultive les paradoxes, autant dans sa biographie que dans ses réalisations. Réalisateur hyperactif (46 longs métrages de 1979 à 2018), producteur omniprésent (63 films, les siens comme ceux de grands réalisateurs : John Woo, Kirk Wong, Ching Siu-Tung, Johnnie To, Ringo Lam), scénariste et acteur à ses heures perdues, bourreau de travail renommé, Tsui Hark est à la fois une personnalité incontournable de l'industrie hong-kongaise et un réalisateur audacieux à l'énergie incontrôlable, un des plus grand expérimentateurs des nouvelles technologies et un adepte du système D, un grand remaker des récits classiques du cinéma chinois et un novateur constant dans les formes et le discours. C'est un cinéaste commercial capable des paris les plus fous, un producteur aussi attaché à sa liberté créatrice que tyrannique envers ceux auxquels il confie des projets. Tsui Hark, c'est une banalité, est un peu à l'image d'Hong Kong : une ville-monde tiraillée entre plusieurs identités qui la constituent mais ne la définissent jamais totalement, où le passé et l'avenir sont en tension permanente. Pour ajouter à cette indétermination, Tsui Hark est d'ailleurs né au Vietnam en 1950, dans une famille issue de la diaspora chinoise de ce qui est encore Saigon en Indochine française  : il s’appelle alors Tsui Man-Kong, et regarde des films en cantonais pendant toute son enfance, s'abreuvant de cette culture par écran interposé. Ces expériences d'enfance, devant les films de Li Han Hsiang, ou la saga Wong Fei Hung, irriguera ses futurs choix de remakes. Sa famille déménage à Hong-Kong en 1963, et plus tard, il partira aux États-Unis pour faire des études de cinéma au Texas jusqu'en 1975, avant de passer 2 ans à New York où il oscille entre documentaire, journalisme, théâtre et télévision.

Cette expérience américaine est capitale pour Tsui Hark : tout d'abord car il y change de prénom (l'ordre du nom et prénom chinois est inversé en français, sauf quand le prénom est occidentalisé : John Woo = prénom/nom, Tsui Hark = nom/prenom) suite aux moqueries de ses camarades : Man-Kong devient Hark, qui veut dire « surmonter ».Tout un programme. Ensuite, car son exposition au méthodes américaines va devenir une obsession autant qu'un contre-exemple dans le futur de sa carrière : toute sa vie, Tsui Hark va chercher à ce que le cinéma hong-kongais soit aussi efficace que le cinéma américain, malgré les différences de budget, parfaitement compensables pour lui par le talent, l'effort, et l'adaptation technologique. Une philosophie qui se retournera contre lui quand il fera l’expérience des plateaux hollywoodiens. Et enfin, et c'est lié, Tsui Hark développe un rapport très fort à l'identité chinoise, complexe pour ce hong-kongais de cœur plus que de naissance, qui veut garder un œil ouvert sur le monde tout en voulant avoir ses propres racines. La saga Il était une fois en Chine lui servira entre autre à formuler en sous-texte son rapport à l'identité culturelle.

Une figure essentielle de la Nouvelle Vague

En 1977, il revient à Hong-Kong et est engagé à TVB, une grande chaîne de télévision, dans l'unité de Selina Chow. Cette expérience (études à l’étranger et apprentissage à la télévision) deviendra une des caractéristiques de ce que les critiques nommeront la Nouvelle Vague Hongkongaise.

Le cinéma de Hong-Kong, après avoir surfé sur le succès des films de Bruce Lee au début des années 70, est en crise profonde à la fin de la décennie. La fermeture de la filiale de la Cathay Organisation en 1972 laisse les vétérans du studio Shaw Brothers seuls aux sommets de la production. La Shaw Brothers, studio organisé comme une major hollywoodienne, avec ses techniciens et acteurs salariés, ses décors réutilisables et une obligation de fournir une trentaine de films par an pour soutenir son réseau de distribution, s'enferme dans des formules qui peinent à faire se déplacer un public friand de nouveautés. Malgré les succès des comédies du plus modeste studio Golden Harvest, qui lancent Michael Hui et Jackie Chan, le cinéma trop codifié des studios est en perte de vitesse au profit de la télévision.

Et c'est à la télévision qu'une jeune génération prend ses marques dans le documentaire ou les séries télévisées. Tsui Hark en fait partie, ainsi que Ringo Lam, Ann Hui, Patrick Tam, Yim Ho, Kirk Wong, Shu Kei et Eddie Fong, qui ont tous travaillé à TVB avant de devenir réalisateurs. On peut rajouter à cette liste Allen Fong et Alex Cheung, qui comme Hark, Ann Hui ou Yim Ho ont fait des études à l’étranger. Tsui Hark travaille sur Golden Dagger Romance, une série de wu xia pian, les films de cape et d'épée chinois, d'ors et déjà remarquée par les spectateurs, et donc par les producteurs.

La jeune génération de la télévision va passer au long métrage de cinéma aux alentours de 1979, et leurs films vont revitaliser les genres canoniques qu'on leur confie : le premier film de Tsui Hark, Butterfly Murders (1979), est un film de sabre mâtiné d’enquête policière et d'horreur, d'une énergie et d'une audace qui appartient à cette génération (on peut le comparer aux contemporains The Sword (1980) de Patrick Tam et The Secret (1979) d'Ann Hui). Enchaînant avec Histoires de cannibales (1980), un film vaguement historique s'inspirant de la célèbre nouvelle Le journal d'un fou (1918) de Lu Xun, Tsui Hark choque les critiques et ne rencontre pas le public avec un film plein de bruit et de fureur, une allégorie d'un Hong Kong où toutes les figures d'autorité (armée, religion) sont unies dans le cannibalisme pour contrôler un peuple grotesque et avili, où une même séquence peut passer du suspense au comique puis à l'horreur, et en réussissant les trois aspects. La bande son volée à Suspiria achève de donner à ce film à petit budget une atmosphère de brûlot punk, qui ne fera que s'amplifier dans le très controversé L'enfer des armes (1980) : avec un sujet contemporain, Tsui Hark montre un Hong Kong chaotique où les jeunes posent des bombes par ennui, et où la police est au même niveau que les gangs pour ses personnages en quête de révolte violente. Censuré par le gouvernement, Tsui Hark retourne en 10 jours un tiers du film qui rendent l'intrigue plus balisée dans le genre policier, mais qui n’atténue pas la noirceur du propos. Le film est un bon succès par rapport à sa production guérilla (33eme au box office annuel), et fait partie des prémices de l'ouverture du public à des films policiers ou criminels aux sujets contemporains, un genre à l’époque peu courant dans le cinéma hongkongais, que la Nouvelle Vague va progressivement imposer (là aussi Tsui Hark n'est pas seul : on peut citer The Club de Kirk Wong en 1981).

Le tournant commercial

Mais c'est alors que Tsui Hark va faire un choix absolument déterminant : après ces trois films novateurs, chaotiques et enragés, il va enchaîner avec un contrat au studio Cinéma City et réaliser la comédie criminelle parodique All the Wrong Clues for the Right Solution (1981). 4eme au box office de l'année et récompensé aux Golden Horse Awards, Tsui Hark intègre le système par la grande porte. Car il ne faut pas s'y tromper : Tsui Hark est un réalisateur qui cherche avant tout à être libre de faire ce qu'il veut, et ce qu'il veut n'est pas uniquement filmer dans la rue sans autorisation des films pleins de noirceur sur les remous de la société hong-kongaise. Tsui Hark recherche la possibilité de s'imposer au cœur de l'industrie pour y expérimenter tout ce qu'il veut, et une de ses obsessions, ce sont les effets spéciaux. Tsui Hark aime le grand spectacle, et il veut se confronter à Star Wars et à Rencontres du Troisième Type quand il met en chantier le film le plus cher de l’histoire du cinéma hongkongais : Zu, les guerriers de la montagne magique (1983), une tentative de combiner les films de sabre, l'heroic-fantasy et la technologie hollywoodienne à grand renfort de fonds verts, de matte-painting, de combats câblés,de maquettes et de filtres de couleur. Dans un récit historique mythique où les batailles des armées sont redoublée par celles, fantastiques, entre des chevaliers aux pouvoirs mystiques affrontant le Mal, le scenario ne fait que rebondir entre les décors improbables, les batailles d’éclairs, les temples maudits et les duels dans les cieux. 3 techniciens occidentaux ayant travaillé sur Star Wars sont chargés de créer le premier département d'effets spéciaux hongkongais. Regarder Zu, c'est tenter de pénétrer dans le cerveau de Tsui Hark : tout va très vite, on y reconnaît de nombreux récits classiques, mais ils sont constamment réinterprétées et lancés à la figure du public, alors que chaque scène devient l'occasion d'un nouvel effet, de montage comme spécial, entièrement nouveau. Regarder Zu, c'est trébucher constamment sur des chemins qu'il est le seul à nous faire emprunter. Le film déçoit au box office mais il fait sensation en Occident, ou il ouvre un mouvement de fascination des cinéphiles pour le cinéma de l'ex-colonie : John Carpenter et David Bordwell aux USA, Christophe Gans et Olivier Assayas en France font partie des premiers à signaler que quelque chose est en train de se passer à Hong Kong, et qu'il va falloir compter sur Tsui Hark.

La fondation de la Film Workshop

Celui ci enchaîne avec le très commercial Mad Mission III, épisode d'une saga comique parodiant James Bond et numéro 1 du box office en 1984. Tsui Hark est rentable, et investit encore plus le cinéma commercial en réalisant son rêve : avec Nanshun Shi, productrice à la Cinéma City, il fonde en 1984 sa propre société de production : la Film Workshop. Son nom évoque l'idée de Tsui Hark de mettre en place un « atelier » où les films pourraient être conçus de manière artisanale, c'est a dire au gré de l'inspiration de leurs auteur. Car Tsui Hark envisage à ce moment de produire à la Film Workshop, non seulement ses films, mais aussi ceux d'autres cinéastes ne se sentant pas à l'aise dans le système des studios.

Il réalise avec Shanghai Blues (1984) le premier succès de cette structure, une comédie romantique rétro centrée sur les tribulations de deux femmes dans le Shanghai des années 40. Au rythme échevelé, oscillant entre franche comédie, romantisme exacerbé et commentaire sur une période charnière de l'histoire chinoise (le film se place entre la guerre sino-japonaise et la guerre civile chinoise de 1947, deux grandes causes de diaspora vers Hong-Kong), c'est aussi la naissance de l’esthétique du studio, fruit des précédentes recherches de Tsui Hark , et qui mêle un rythme rapide dans le montage avec un production design très coloré, sublimé par l'utilisation de filtres et de divers éléments (la fumée, le sable, la pluie, le vent, la neige et le feu seront prédominants dans les choix esthétiques des différentes productions Film Workshop). C'est aussi sa première collaboration avec le musicien James Wong, qui composera des thèmes ou des réorchestrations sublimes pour ce film et pour Peking Opera Blues (1986), Histoires de Fantômes Chinois (1987), Swordsman (1990), Il était une fois en Chine, Green Snake (1993) et The Lovers (1994). La Film Workshop était un cadre où l'on recroisait de nombreux techniciens et artistes issus de la Nouvelle Vague, dont le talent participe à l’émulation créative des films de la société.

La Film Workshop ouvre pour Tsui Hark une période extrêmement prolifique, qui oblige cet article à se diviser thématiquement : pendant l'age d'or de la Film Workshop (de 1986 à 1995 environ), Tsui Hark va produire 40 films. 17 sont signés de son nom mais on peut facilement lui attribuer le tout ou des parties dans une dizaine d'autres films parmi ces productions : impossible de ne pas reconnaître dans des films comme L'auberge du dragon (1992, Raymond Lee) ou Swordsman II (1992, Ching Siu-Tung) le style et les obsessions de Tsui Hark. Cette fièvre créative quasi-inégalée s'accompagne de grands succès publics, d'expérimentations constantes, d’échecs précipités, de conflits créatifs violents et de nombreuses innovations techniques.

Tsui Hark producteur : succès et conflits

Un des faits d'armes de Tsui Hark en temps que producteur est d'avoir pendant ces années réussi à imposer presque tout les courants à la mode dans le cinéma hongkongais. En 1986, il permet à John Woo, qui stagnait dans les comédies de studio, de réaliser le polar d'action de ses rêves, Le Syndicat du crime, qui devient un des films hongkongais les plus rentables de tout les temps, est acclamé par la critique et impose le film criminel comme genre majeur de l'ex-colonie. En 1987, c'est le chorégraphe de combat et réalisateur Ching Siu-Tung, derrière lequel on reconnaît assez facilement les suggestions de Tsui Hark, qui signe Histoires de Fantômes Chinois, film fantastique qui relance la mode des films de fantômes. En 1990, c'est au tour du wu xia pian avec Swordsman, censé être réalisé par le vétéran King Hu, mais où une production chaotique voit 5 autres réalisateurs se succéder pour achever le film (King Hu, puis Tsui Hark, Ching Siu Tung, Andrew Kam, Raymond Lee et Ann Hui), qui sera un succès et relancera le genre dans les années 90. Puis en 1991, Hark modernise le film de kung fu avec la saga Il était une fois en Chine (6 films de 1991 à 1997 dont 4 réalisés par Tsui Hark) qui impose Jet Li comme une star des arts martiaux. De 1992 à 1995, il réalise un remake de classiques du cinéma hongkongais par an (L'auberge du dragon, Green Snake, The Lovers, The Blade), pour à chaque fois en donner une version réactualisée par son style et ses thématiques.

De manière plus dramatique, Tsui Hark, malgré sa volonté de créer une structure où les réalisateurs pourraient s'exprimer librement, fut dans les faits un producteur absolument atroce envers chaque créateur ne s'accordant pas avec ses idées. Suite au succès du Syndicat du Crime, la suite mise en chantier immédiatement voit apparaître de fortes divergences créatives, et Tsui Hark et John Woo finissent par tourner et monter de manière indépendante des parties entières du film. Tsui Hark refuse catégoriquement The Killer (1989), la star Chow Yun-Fat doit le menacer de trouver un autre studio pour que le projet soit mis en place, et le monteur David Wu doit refuser des coupes qui auraient défiguré le film. Le divorce est prononcé lorsque Tsui Hark réalise Le syndicat du crime III (1990), reprenant l'idée de John Woo d'une intrigue au Vietnam dans les années 60, alors qu'il lui avait refusé un projet similaire (qu'il finira par réaliser hors de la Film Workshop en 1992 dans Une balle dans la tête). Dans cette affaire, les témoignages s'accordent à dire que Tsui Hark a exercé un mélange de jalousie et de paranoïa d'autant plus injustifiable que John Woo lui était extrêmement redevable du renouveau de sa carrière. Des cas similaires bien que moins violents se reproduiront avec d'autres cinéastes attachés à leur liberté créative : Tsui Hark rajoute une partie contemporaine au drame sur la Révolution Culturelle The King Of Chess (1992) de Yim Ho, qui renie le film, estimant que le propos politique du film était défiguré. La préparation de Gunmen (1988) de Kirk Wong est décrite par celui-ci comme un « conflit permanent », les deux réalisateurs ne s'accordant pas du tout sur leur vision de cette réinterprétation des Incorruptibles (1987), et le film porte la marque de cette indécision stylistique. Tsui Hark va finir par transformer l’expérience collective qu’était la Film Workshop en son propre royaume, où seuls vont rester les collaborateurs prêts à se plier à ses exigences. Il n'est pas déraisonnable de considérer Tsui Hark comme un grand mégalomane, prêt à tout pour imposer son talent, qu'il juge supérieur à celui des autres réalisateurs. C'est aussi bien souvent une des forces de son cinéma : il travaille sans relâche à y faire mieux que les autres : le point extrême de cette attitude étant sans doute Time and Tide (2000), où il pirate en même temps les styles de ses plus grands concurrents (Wong Kar-wai, John Woo et Johnnie To) pour mieux affirmer le sien.

Esthétiques et thématiques

Tsui Hark, malgré la variété de ses œuvres, et le fait qu'il préfère expérimenter de nouvelles formes que de se reposer sur des figures établies, a des obsessions : l'exil, l'amour vu comme force inarrêtable, la méfiance envers les structures figées et réprimant les émotions, l'utilisation de personnages féminins de manière bien plus marquée que dans le tout venant de la production hongkongaise. Si l’esthétique de la Film Workshop (élémentaire, colorée, ample) est caractéristique, le style de Tsui Hark s'adapte au sujet qu'il choisit de traiter.

Prenons les combats exaltants de Il était une fois en Chine, où le cadre en 2:35:1 sublime les chorégraphies de Yuen Woo-ping et Yueng Cheug-Yan par une lisibilité constante et des compositions divisant l'espace entre Jet Li et ses adversaires de façon à mettre en valeur sa maîtrise et sa stabilité, qui devient ensuite l'enjeu des combats les plus acharnés, comme la fameuse scène des échelles, qui inscrit dans le cadre même la géométrie de l'affrontement. A l'inverse, le style se fait plus heurté dans Swordsman et Swordsman II, où les affrontements au sabre sont parfois entièrement sans contact et reposent sur des traits tracés par les lames dans le sable, des explosions magiques et des lancers d'aiguille: le montage rapide doit alors connecter les différents espaces du combat.

Une des constantes de Tsui Hark serait paradoxalement son imprévisibilité : souvent, il va chercher à fabriquer quelque chose de surprenant, d'inattendu, dans un cadre qu'on pourrait penser balisé par le genre, ou les œuvres originales pour ses remakes. Souvent, des points très importants de scénario sont changés pour mieux s'adapter à sa vision : la relation charnelle entre les amants de The Lovers, la focalisation sur le personnage de la servante joué par Maggie Cheung dans Green Snake, la conclusion inédite du combat final de L'auberge du Dragon. Dans la gestion de l'action, si la déstructuration du montage dans The Blade reste un point terminal de cette logique, on peut noter dans Time and Tide la durée démesurée des scènes d'action qui fait s’enchaîner trois grandes séquences pour un climax de 45 minutes au total, ou à l’extrême inverse un combat de Seven Swords (2005) construisant une forte tension pour être nonchalamment expédié en 15 secondes.

Le cinéma de Tsui Hark est la jonction de deux enjeux : le retour à des récits emblématiques de la culture hongkongaise ou chinoise et la hantise de la stagnation de cette culture ; ce qui se traduit par la revitalisation de ces récits, le rejet total de l’académisme, le goût pour les effets visuels (pratiques comme numériques) et l'ouverture à l'étranger (il va chercher des techniciens américains pour former ses équipes d'effets spéciaux, des français ont été scénaristes pour la Film Workshop, son goût pour les comics et les mangas transparaît dans plusieurs de ses productions comme Roboforce (1988) ou Black Mask (1996), et sa référence principale pour l’improvisation dans la construction des scènes de combat de The Blade est François Truffaut), souvent pensée comme un défi, une manière de prouver que le cinéma hongkongais, et surtout le sien, peut tout se permettre.

Un cinéma au féminin

Une des fortes thématiques du cinéma de Tsui Hark est la place très importante qu'il accorde aux personnages féminins. Là ou un John Woo se focalise sur des héros masculins tragiques dans la lignée de Chang Cheh, le réalisateur qui avait mis un terme au vedettariat féminin dans le film de sabre ou de kung-fu à la fin des années 60, Tsui Hark n'a de cesse de placer des femmes dans des rôles moteurs de ses films, où elle portent souvent son point de vue. On peut citer la jeune anarchiste de L'enfer des armes, bien plus sympathique dans son refus des compromissions que les trois jeunes poseurs de bombe qu'elle embrigade ; les castings féminins de Shanghai Blues et Peking Opera Blues, ce dernier mettant au premier plan l'amitié entre trois femmes de milieux bien distincts, unissant leur forces pour faire face aux difficultés de chacune. Le Syndicat du Crime III fait du héros chevaleresque de John Woo l’élève d'une tueuse implacable, qui lui apprend à tirer et à porter les attributs fétiches (lunettes de soleil, imperméable) des deux films précédents. Dans les martiaux Il était une fois en Chine comme dans The Blade, Tsui Hark place des personnages féminins au cœur de la narration et du discours :Tante Yee, interprétée par Rosamund Kwan, élevée en Occident, représente l'inclusion pacifique de la modernité dans l'identité chinoise. Elle n’hésite pas à ridiculiser le maître de kung-fu légendaire Wong Fei Hung quand ses valeurs confucéennes trop rigides l’empêchent d'avancer. Et il est parlant qu'elle inclut dans le récit même d'abord un appareil photo puis une caméra dans le troisième volet : c'est elle qui prend en charge la vision du réalisateur. Dans The Blade, le récit s'ouvre et se clôt sur une jeune fille perdue au cœur de l'univers barbare du film, dont la voix off incertaine est la seule à offrir la brève possibilité d'un espoir, avant de tout de suite le nier par sa volonté affirmée de s'inclure dans le cycle de la violence. Les femmes prennent des rôles actifs chez Tsui Hark : Brigitte Lin et Maggie Cheung en combattantes dans L'auberge du dragon, Maggie Cheung encore et Joey Wong en puissantes femmes-serpent dans Green Snake, Charlie Young se déguisant en homme pour pouvoir étudier dans The Lovers et la légendaire composition de Brigitte Lin dans Swordsman II, dans le rôle de l'Invincible Asia, chef de guerre qui devient une femme pour accéder au plus puissant des arts martiaux. L'affirmation de la féminité ne passe clairement pas par une simple transfert de codes genrés (l'idée qu'on ne pourrait avoir une femme d'action que si elle agit comme un homme) : le féminin chez Tsui Hark répond souvent à une thématique profonde dans ses films qui est le refus de la coercition, de la répression des émotions. Tsui Hark présente souvent les régimes politiques, les valeurs confucéennes (patriarcales, centrées sur la maîtrise de soi et l’obéissance) ou la famille comme négatifs dans le cas où ces structures seraient un obstacle à l'expression d’émotions, notamment l'amour. Tout en restant assez chaste et se contentant d'une érotisation jouant sur la suggestion (dont la manifestation principale serait la scène de bain, récurrente dans ses films), l'amour chez Tsui Hark représente un horizon idéalisé, celui d'une monde sans contrainte. Les femmes vont donc souvent bien plus loin que les hommes dans cette logique de libération, affirmant leur féminité en même temps que leur puissance, là ou les personnages masculins sont les proies de leurs propres contradictions lorsque qu'ils se mentent à eux-même. Le potentiel mélodramatique qu'en tire Tsui Hark est bouleversant, notamment dans Green Snake et The Lovers.

Le savant fou de la technologie

Une des fortes tendances de la carrière de Tsui Hark est son attrait immodéré pour l’expérimentation technologique. Pour créer Zu, Tsui Hark a aussi crée de toute pièces le premier studio d'effets spéciaux de Hong-Kong et ne rechigne pas à l'utilisation d'effets pratiques très variés. Son utilisation des effets spéciaux est à l'image de ses méthodes de travail : un mélange de rapidité de décision et de changements de direction constants, du travail acharné toujours en risque d'exploser en plein vol. Un film comme Green Snake est un cas d'école de la méthode Tsui Hark : le film est plein à craquer d'effets spéciaux : animatroniques, maquettes, transparences, fond bleus, stop motion, séquences de vol câblées, et même un dragon en animation 3D (nous sommes en 1993), le tout dans un film où l'eau est omniprésente : pluie, fleuve, mare, bain, lac, crue : le studio est une vraie baignoire. Le cauchemar absolu que fut de manière tout à fait logique le tournage fit ré-angler le scenario au jour le jour sur les actrices et les enjeux humains, mais les effets spéciaux de toute évidence défaillants restent visibles tout du long, et cela ne pose aucune problème. La manière dont Tsui Hark conduit son film, magnifie toutes ses compositions, joue des filtres, du montage, de la musique pour sublimer ses actrices font passer comme une lettre à la poste les effets défaillants. Simplement parce que l'effet spécial chez Tsui Hark est consubstantiel au film : Green Snake est impensable sans effets spéciaux, alors au lieu d'attendre que les effets spéciaux soient parfaits pour le film qu'il veut faire, il fait le film en faisant fonctionner in situ les effets qu'il appelle de ses vœux. L’émotion qu'il souhaite imprimer a ses séquences à effets est parfaitement transmise, quel que soit l’état de ceux-ci.

Tsui Hark est aussi à l'origine du premier long métrage d'animation hongkongais avec de l'animation 3D (Histoire de fantômes chinois: The Tsui Hark Animation en 1997). Mais après l’expérience radicale de The Blade, film de sabre quasiment dénué d'effets, sans stars et ouvert à l'improvisation, dont l’échec public comme critique à sa sortie signa la fin de la période de grâce de la Film Workshop, Tsui Hark va s’intéresser aux effets spéciaux numériques, qui accentuent les scènes d'action de sa brève période américaine (les très dispensables Double Team (1997) et Piège à Hong Kong (1998) avec Jean Claude Van Damme, où Tsui Hark se sent humilié par les constantes tractations avec les producteurs et les différents services, là où les tournages hongkongais cultivent une rapidité chaotique qui lui convient très bien tant qu'il en est le principal moteur) et des séquences explosives du grandiose Time and Tide (2000), avant de devenir omniprésentes dans La légende de Zu (2001), où fond verts et animation 3D se retrouvent dans presque tout les plans, de manière totalement anarchique et expérimentale. Tsui Hark y répond de toute évidence à Matrix (1999) et à La menace fantôme (1999), et bien que les années 2000 soient pour lui une période de doutes et d’échecs, où il peine à s'adapter à la nouvelle donne causée par la rétrocession de Hong Kong à la Chine et la crise du cinéma hongkongais, il reste focalisé sur les effets spéciaux, et son retour au sommet du box-office en 2010 avec Détective Dee, le mystère de la flamme fantôme, montre un mariage entre réel et effets numériques plus unitaire, où le coté factice et ornemental reste contrebalancé par l'inventivité des scènes d'actions.

Vers l'avenir

En 2011, Tsui Hark s'attaque à la 3D avec Dragon Gate, la légende des Sabres volants, le premier film de sabre en 3D, et encore une réinterprétation du Dragon Gate Inn (1967) de King Hu après celle de 1992. Tout ses films suivants seront en 3D, qu'il travaille avec délectation, pouvant intégrer à loisir dans les décors naturels tout les effets de surgissement et chorégraphies fantasques qu'il désire, avec un goût pour les séquences spectaculaires : tempête de sable numérique dans Dragon Gate, bataille sur des cordes en rappel le long d'une falaise dans Détective Dee 2 : La Légende du Dragon des mers (2013), affrontement contre un tigre et lutte à mort sur les ailes d'un avion en train de décoller dans La Bataille de la montagne du Tigre (2014), et débauche de créatures fantastiques dans Journey to the West: The Demons Strike Back (2017) et Détective Dee : La Légende des Rois célestes (2018), les deux utilisant en sus la technologie 4DX et le dernier se targuant même d’être le premier film non-américain en High Frame Rate (défilement à 48 images par secondes). Ces blockbusters à effets spéciaux ont replacé Tsui Hark à la tête du box office chinois, et si on peut regretter que ces films n’égalent pas les chef d’œuvres des années 80/90, ils restent des films très intéressants, pleins d'invention et de fantaisie. Tsui Hark a d'ailleurs fait bien pire dans sa carrière : on ne regrettera certainement pas les très mauvais The Master (1989), The Banquet (1991) ou Mad Mission III, et même un film tourné en plein cœur de sa période la plus créative comme Dans la nuit des temps (1994), avec les acteurs de The Lovers et conçu comme sa suite spirituelle, n'est pas aussi convaincant.

Tsui Hark va bientôt avoir 70 ans, dont 40 ans de carrière en temps que cinéaste, et il semble vouloir continuer de raconter des histoires. Celui que Tarantino, lors du jury 2004 à Cannes, a présenté aux journalistes comme « le plus grand réalisateur au monde », peut se targuer d'avoir eu la plus grande part dans l'un des mouvements qui fit de Hong Kong un des lieux les plus intéressants du cinéma mondial. Tout au long de sa carrière, nombre de ses films ont fasciné les spectateurs de son pays et du monde entier, et le but principal de cet article est de perpétuer cette découverte.

Cet article est dédié à Jordan L’Hôte, qui m'a transmis une grande partie de la documentation.

Remerciements :
Camille Zaurin pour la passion (et la phrase que je t'ai fauché).
Et Boris pour la découverte (et l'exemple que j'ai réutilisé).

Bibliographie :
Police contre syndicats du crime, les polars et les films de triades dans le cinéma de Hong Kong, Arnaud Lanuque, 2017
The Cinema of Tsui Hark, Liza Morton, 2001
Revue HK Orient Extrême Cinéma, n°2, 3, 6 et 11 (1997-1999)
Revue Cahiers du Cinéma, numéro spécial Made in Hong Kong (362-363) & numéros 415, 427, 512, 563, 651, 666 (1984-2011)

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Manouel

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Envoyé par Manouel le Vendredi 13 Septembre 2019 à 04:22


Le 08/09/2019 à 23:20, Borislehachoir avait écrit ...

La Fureur de vaincre (Lo Wei, 1972)
 

C'est pénible si je te demande une comparaison avec la version Fist of Legend?

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Envoyé par Borislehachoir le Vendredi 13 Septembre 2019 à 17:34


Si on lance des bouteilles à la mer, c'est bien en espérant que quelqu'un les attrape 

En ce qui me concerne, je préfère nettement Fist of legend à son modèle. Le racisme anti-japonais y disparait pour faire place à quelque chose de bien plus humaniste, le scénario est moins crétin et esthétiquement il me semble y avoir un effort de reconstitution et de mise en scène très supérieur à La Fureur de vaincre qui est trop souvent brouillon. Le seuil point sur lequel je trouve le remake inférieur c'est le fait que Jet Li n'a selon moi pas un charisme aussi étincelant que celui de Bruce Lee mais sur tous les autres points, Fist of Legend est un film qui me semble enterrer son initiateur. Comme pour rester dans le kung-fu 70's je préfère nettement La Main de fer à la Fureur de vaincre (et dans l'esprit, j'ai l'impression que Fist of legend descend d'ailleurs plus de ce film là que dans la rage revancharde du Bruce Lee).

Boris.

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kakkhara

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Envoyé par kakkhara le Mercredi 18 Septembre 2019 à 11:08


En attendant d'avoir des livres desquels parler, voici quelques films en vrac.

Du nouveau : 

Vif-argent, (Stéphane Batut, en salles actuellement)

Juste ne se souvient de rien, sinon qu'il est mort. Aussi lorsqu'une femme le reconnaît comme un ancien amant, il accepte de jouer le jeu.

Un film fantastique et romantique avec de très belles images de Paris la nuit, c'est une belle histoire, un peu mélancolique, racontée comme un rêve, qui nous est proposée ici, et c'est une réussite.


Du moins nouveau : 

Le 13ème guerrier (John Mc Tiernan,1999)

Ahmed est contraint d'accompagner des guerriers vikings partant affronter un mal démoniaque sur leur île natale.

Le film est spectaculaire, et les décors et costumes sont supers. Pourtant il y a un problème. Difficile de s'immerger dans une histoire dont on ignore tout des protagonistes. Les douze guerriers sont juste, chef des vikings, viking n 1, viking n 2 et ainsi de suite, avec à peine quelques petits détails permettant d'en reconnaître un de temps à autres. Quant aux adversaires, on ne sait rien non plus, leurs chefs sont complètement impersonnels, ne servent à rien d'autre qu'être les chefs. Du coup quand un personnage meurt, ça ne fait ni chaud ni froid, comme s on voyait mourir un figurant.

Night call (Dan Gilroy, 2014)

Lou vit d'expédients. Un jour il est témoin d'un accident de voiture et se rend compte de l'argent qu'il peut y avoir à vendre des images choc.

Une belle photographie d'une Los Angeles nocturne pour un film qui s'attaque à la presse à sensations, privilégiant le scoop à l'exactitude. C'est bien fait et plutôt réussi, même si on regrettera une intrigue manquant d'enjeux. Ceci dit on peut percevoir ça comme un choix, car on est positionné par le personnage principal comme observateur froid, clinique. qui ne s'implique aucunement dans les drames dont il est témoin. Jake Gyllenhal, très bon, porte le film sur ses épaules.

Et du carrément vieux : 

Derrière le miroir (Nicholas Ray, 1956)

Ed Avery est un professeur un peu miteux, sans histoire, jusqu'au jour où on lui découvre une maladie mortelle, que seule la cortisone peut endiguer. Sauf que la cortisone a d'étranges effets secondaires.

La première chose qu'on peut dire, c'est que les films comme ça basés sur le médical et le psychologique, vieillissent forcément assez mal. La plongée sur le mode du thriller est à moitié convaincante, parce que le rôle de Barbara Rush en femme forte, dévouée jusqu'au bout, est dans l'ensemble assez crédible, c'est l'enfant qui je trouve a un rôle raté, on n'y croit pas un instant. Dans l'ensemble ça se laisse regarder avec plaisir, pour autant c'est loin d'être le meilleur Nicholas Ray.
 

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Borislehachoir

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Envoyé par Borislehachoir le Vendredi 20 Septembre 2019 à 15:43


L'Ascension (Larissa Cheptiko, 1977)

L'action du film se déroule en Biélorussie au cours de la Seconde Guerre mondiale. Deux partisans soviétiques sont faits prisonniers par les Allemands. Ils apprennent qu'ils doivent être pendus. L'un d'eux, Rybak, craque et accepte de collaborer ; l'autre, Sotnikov, affronte calmement la mort.

C'est un très beau film, superbement interprété et mis en scène, émouvant et intelligent en même temps. L'acteur incarnant Sotnikov est doté d'un visage incroyablement expressif tandis que dans un rôle d'ordure finie on a plaisir à voir un Anatoli Solonitsyne - l'acteur fétiche de Tarkovski - à contre-emploi. Je pourrais parler longtemps de la façon dont Cheptiko filme brillamment les éléments naturels mais trois petites choses m'empêchent d'adhérer à 100 %. D'abord, plane sur le film l'ombre de son brillant " successeur ", le complètement fou Requiem pour un massacre réalisé par Elem Klimov - mari de Cheptiko - qui saura amplifier encore ses qualités et marquer d'avantage le spectateur. Mais en plus de cette postérité géniale, il y a chez Cheptiko une façon de mettre un peu lourdement en avant l'iconographie religieuse orthodoxe, ou les dialogues viennent parfois préciser un peu trop lourdement ce qu'on a instinctivement ressenti ( la paysanne qui lâche " Judas… " après la trahison d'un des héros, les attitudes christiques de Sotnikov, les scènes de piété entre prisonniers). Enfin, l'Ascension est assez nettement coupé en deux, avec d'abord un film de survie dans lequel deux personnages se battent contre les éléments puis un film de prison à enjeux métaphysiques, et si j'aime énormément chacun de ces deux films individuellement je trouve la transition de l'un à l'autre un chouia loupée. Tout ça n'est que du détail et le film reste une date du film de guerre et une expérience de cinéma éprouvante.

La Jetée (Chris Marker, 1962)

« Ceci est l'histoire d'un homme marqué par une image d'enfance ». Enfant, le héros se rend souvent avec ses parents à l'aéroport d'Orly. Un jour, il assiste à un événement dramatique qui va le marquer, mais qu'il ne comprendra que plus tard. Un homme meurt sous les yeux d'une femme dont il gardera en mémoire les traits. Puis la Troisième Guerre mondiale survient qui détruit toute la surface de la Terre. À Paris, les survivants se réfugient dans les sous-sols.

Incroyable film de science-fiction qui ne ressemble à aucun autre (et pour cause il s'agit d'une sorte de roman photo filmé sans acteur si ce n'est la voix-off) et parvient pourtant, tout en développant parfaitement ses thèmes autour du voyage dans le temps et de la persistance des images, à nous captiver par le biais d'une narration frôlant l'expérimental, bardé d'idées géniales (les photos très rapprochées qui donnent l'impression d'un mouvement ralenti, les juxtapositions d'images qui donnent l'impression de désolation).J'ose même pas trop raconter le film tant il me semble primordial de ne pas gâcher les surprises aux gens qui n'auraient pas eu la chance de le voir, mais La Jetée est certainement à la science-fiction française ce que les Yeux sans visage était au fantastique hexagonal : un sommet inégalable mêlant avant-gardisme, poésie et regard sombre sur l'âge humaine.

Une vie toute neuve (Ounie Leconte, 2009)

Corée du sud, en 1975. Jinhee a neuf ans. Son père lui fait croire qu'elle va partir pour un beau voyage. En réalité, il la place dans un orphelinat géré par des religieuses. Jinhee vit difficilement cet abandon et rejette l'idée d'être adoptée. Elle s'enferme dans le mutisme et refuse de se plier aux règles de l'orphelinat. Finalement, elle acceptera de partir dans une famille d'adoption en France. Bien que ce soit la promesse d'une nouvelle vie, cela signifie également faire le deuil de sa famille et de ses nouvelles amies.

A côté des nombreux polars coréens que j'ai souvent chroniqué ici, la Corée du sud développe parfois des drames intimistes comme ce film totalement autobiographie de la franco-coréenne Ounie Leconte dans lequel la réalisatrice revient sur ses années d'orphelinat. Une vie toute neuve, c'est le film que j'ai envie d'aimer et qui ne me convainc pas, malgré le naturel de la jeune actrice, malgré le fait qu'Ounie Leconte refuse de trop charger la barque misérabiliste et préfère s'attarder sur des détails révélateurs, malgré le fait que les adultes ne sont jamais diabolisés. Parce que le cinéma ce n'est pas seulement éviter les clichés, c'est parfois aussi accepter le déjà vu mais réussir à le transcender par un moment de grâce, un cadrage, un effet de montage qui provoque l'émotion. Ici, le film n'est jamais mauvais, sauf qu'il n'est jamais aussi touchant qu'il ne devrait l'être. C'est évidemment sincère  et très souvent mignon, mais c'est tout. Dommage.

La Piste des géants (Raoul Walsh, 1930)

Sur les rives du Mississippi, les prétendants à la conquête de l'Ouest s'amassent, prêts pour le départ. Coleman, un jeune trappeur, enquête sur le meurtre de son meilleur ami. Il soupçonne le conducteur de l'une des caravanes. Dans le but de le démasquer, il se fait engager comme guide.

Le western séminal, le vrai, celui qui contient quasiment toutes les situations qu'on reverra durant les trois décennies suivantes et qui contient même LE comédien de western, à savoir un John Wayne tout jeune mais crevant déjà l'écran neuf ans avant la Chevauchée fantastique. La force de Walsh c'est de donner l'impression que tout coule de source, qu'il s'agisse tant des situations (une bonne partie du film est consacrée à la relation naissante entre Wayne et Marguerite Churchill et ce n'est jamais emmerdant) que de la mise en scène qui multiplie les moments de bravoure : l'attaque des indiens face au convoi qui se replie en cercle (Lucky Luke le parodiera un nombre incalculable de fois), la descente du convoi quasiment à la verticale dans un sentier escarpé, la traque des tueurs par John Wayne dans la neige qui anticipe La Chevauchée des bannis…. et là ou l'époque du tout début du cinéma parlant (le Chanteur de jazz n'a que trois ans à l'époque) se caractérise souvent par une grande raideur de la mise en scène, ici le taulier Walsh se permet légèreté, humour, relâchement et va même jusqu'à insister sur l'amitié entre Wayne et… les indiens Pawnees, seconds rôles sympathiques. Etonnamment moderne, et toujours aussi brillant.

La Fureur du Dragon (Bruce Lee, 1972)

Tang Lung (Bruce Lee), est un Hongkongais qui débarque à Rome pour aider la famille d'un ami, qui est victime de racket. Les aptitudes martiales de Tang repoussent les malfrats qui font alors appel à un redoutable champion d'arts martiaux…

Mécontent du travail de son réalisateur Lo Wei, Bruce Lee décide de se mettre en scène lui-même ; prank, ça tourne mal, explications. Si Lo Wei était un mauvais réal, la Fureur de vaincre avait au moins le mérite de fasciner par le côté psychopathe de Bruce Lee. Ici, le ton est beaucoup plus comique à l'image de l'introduction qui est absolument consternante de blagues pas drôles (en vrac : Bruce Lee ne parle pas anglais et se retrouve à bouffer des trucs dégueus au resto, une pute drague Bruce Lee qui ne comprend rien, Bruce Lee fait des grimaces…) sans parler des italiens du film qui parlent tous anglais. Niveau histoire on est encore dans du très couillon (avec en plus un twist débile à la fin) ou tous les gentils du film sont là pour se faire défoncer par des méchants que Bruce Lee défoncera cinq secondes plus tard. Heureusement, plus le film passe plus le comique s'estompe au profit des combats, et alors que le combat contre les deux séides américains et japonais était déjà très bien, le fight légendaire Bruce Lee contre Chuck Norris est parfaitement à la hauteur de sa réputation, brillant, tendu et étonnamment bien filmé. Dommage que le film ne s'arrête pas là mais retombe dans ses travers avec les dix minutes de n'importe quoi final. Un mauvais film mais contenant une très grande séquence.

Boris, j'ai eu peu de temps pour écrire, mea culpa pour les probables coquilles.

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kakkhara

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Envoyé par kakkhara le Vendredi 20 Septembre 2019 à 19:14


Je viens de prendre La Fureur du dragon à la médiathèque. Je regarderais quand même, au moins un bon combat c'est bon à prendre.

Vu la jetée lors d'une nuit du cinéma à la ferme du buisson, c'était effectivement remarquable.

Sinon j'ai vu Une grande fille, de Kantemir Balagov (en salles)  : c'était pénible, et long, les trop rares bons moments ne font que souligner l'ennui du reste. En permanence on est pris dans un sordide misérabilisme dont rien ne vient nous sortir. Le projet était ambitieux, malheureusement il a la subtilité d'une ruée de rhinocéros.

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Envoyé par Crutch le Samedi 21 Septembre 2019 à 01:29


La Flor – Mariano Llinas – 2018

Précédé d'une réputation exceptionnelle en festival, le nouveau film de Mariano Llinas, qui avait déjà crée l’événement en 2008 avec les 4 heures d'Histoires Extraordinaires, un des fleurons du nouveau cinéma argentin, suscitait de nombreuses rumeurs. Un film de 13h30, tourné pendant 10 ans dans une dizaine de pays, composé de 6 épisodes de durée et de genre variables, joués par 4 actrices (Pilar Gamboa, Elisa Carricajo, Laura Paredes et Valeria Correa) issues d'une troupe de théâtre. Sorti en salles en France en 2019, en 4 parties de plus de 3 heures (Partie 1 : épisodes 1 et 2. Partie 2 : épisode 3 (début). Partie 3 : épisode 3 (fin), épisode 4 (début). Partie 4 : épisode 4 (fin), épisode 5, épisode 6), il est évident que la taille du film est le premier sujet de discussion qui vient en tête. Si en principe, les spectateurs seriephiles ont maintenant l'habitude des sessions de visionnages au long cours, il faut bien s'avouer que Llinas, de manière parfaitement consciente, ne recourt pas à l'art du storytelling savamment calibré qui permet d'engloutir tout un après-midi. Le film se présente comme 6 histoires, sans lien entre elles, à ce détail prés que 4 histoires s’arrêtent au milieu, une (la plus courte) est complète, et la dernière ne montre que la fin. Et pourtant, il y a des cliffhangers, des espions, des romances tragiques, voire peut-être aussi des sorcières dans La Flor. Les grandes réussites du film viennent de ces épisodes où à un sens foisonnant de la narration s'ajoute une manière inédite de filmer des situations somme toute assez classiques.

Après une ouverture présentant la structure globale du film, l’épisode 1 rejoue, avec une histoire de momie inca maudite (pensez Rascar Capac, Tintin est une référence explicite, qui revient dans l’épisode 3), le travail sur le hors-champ du cinéma fantastique de Jacques Tourneur et des productions Val Lewton. Mais au hors-champ s'ajoute aussi une utilisation du flou virtuose : chaque image possède une couche de flou, avant ou arrière, dont le déchiffrement progressif, s'adaptant toujours au besoins de la scène, renchérit et renouvelle la proposition du modèle de série B pourchassé. L'occasion aussi de découvrir de quel bois se chauffent les 4 actrices, toutes exceptionnelles, et que l’épisode 2 redistribue dans des rôles bien différents pour que l'on puisse admirer tout leur registre. Cet épisode, alternant entre le récit de la romance conflictuelle d'un couple de chanteurs et celui d'une conspiration pour la possession d'une mystérieuse marchandise attisant les convoitises, contient des trésors d'émotion, de rage et de mélancolie. L'utilisation des chansons des deux artistes en duo/duel expose avec un premier degré précieux l'incandescence des sentiments. Notons aussi que la musique du film est excellente, souvent assez agressive et rythmée pour bien souligner les rebondissements narratifs, donnant à de longues scènes des allures de serial mené tambour battant. Le cinéphile averti verra en outre dans cet épisode une discrète mais extrêmement pertinente reprise d'une ligne de dialogue des Cendres du Temps de Wong Kar-wai, un réalisateur que l'on peut aussi convoquer pour son utilisation de la voix-off, procédé qui fait ici son apparition lors de flash-backs pour devenir une des figures centrales de l’épisode 3 et 4. Mariano Llinas avait déjà beaucoup utilisé la voix-off dans Histoires Extraordinaires, et dans La Flor, toutes les voix off sont absolument magnifiques, d'une écriture ciselée, jouant avec les registres, narrées alternativement par le réalisateur ou sa sœur, dont les voix prennent en charge la narration de épisode 3, une longue (5h30) histoire d'espionnage, où les 4 actrices interprètent des espionnes piégées par leur commanditaire, interrompue par 4 flash-backs tournés dans le monde entier et nous expliquant comment chacune en est arrivée là. Cet épisode continue de surprendre et de captiver par ses sauts dans le temps, dans l'espace, et dans l'exploration des genres.

Mais c'est à ce moment que les premières limites du projet apparaissent discrètement. L'usage de la voix off, tout virtuose et romanesque qu'il soit, vient par moment se mettre à la place de la performance des actrices, qui sont pourtant censées être le liant central du film, et dont le jeu éblouissant des deux premiers épisode nous laissait espérer de nouveaux trésors d'interprétation, ici toujours présents, mais parfois plus en retrait. Et l’épisode 4 ne fait que confirmer cette perte : elle a l’avantage d'être thématisée : de manière réflexive, on nous présente un réalisateur bloqué dans un projet de film au long court joué.. par les quatre actrices, et sa fuite dans l'arrière pays pour ne plus avoir à les filmer (et de fait, les 4 actrices n'y apparaissant que de manière très sporadique). Tout ceci reste intéressant, mais plus l’épisode avance, et plus la narration se délite en subdivisions et digressions (on est dans un méta-film sur la fuite de l'intrigue où un personnage finit par enquêter pour reconstituer l'intrigue même de ce méta-film) qui finissent par ne rendre plus qu'un surplace percé de ci de là par des petits récits reconduisant l'attention. La surprise et l'invention tend à s’amenuiser, d'autant que la mise en scène captive moins.

Mais l’épisode 5 achève ce processus de déception, en évacuant les 4 actrices pour proposer une sorte de remake de Partie de Campagne en noir et blanc et sans son (sauf pour une séquence). Cette partie n'a quasiment aucun intérêt. Le noir et blanc y est joli, acteurs et actrices jouent avec conviction l'exubérance et la séduction, mais impossible de ne pas se sentir complètement étranger à ces scènes à l'enjeu dramatique bien moindre que dans le Renoir et dont l'anecdotique n'est que renforcé par le reste du film. Seule la séquence de ballet aérien, déconnectée narrativement et surlignée par la présence du son (dont l'absence dans le reste de l’épisode ajoute à son caractère soporifique), possède une beauté plastique qui captive. Et, alors que le fait que cet épisode ne durait que 45 minutes soulage, la déception revient avec le dernier épisode, filmé dans la pampa (et on se sent comme une pampa triste, comme dirait l'autre) avec un procédé permettant à l'image de ressembler aux photographies fin XIXeme, époque de l’épisode, et qui a pour conséquence de rendre tout laid, sépia et à demi-lisible, présente nos actrices (dont deux sont enceintes) qui, entre deux cartons tirés de l'histoire vraies de captives ayant échappé aux indiens, ne font que marcher dans le désert, traverser une rivière, prendre un bain nues, marcher, puis se séparer une fois sorties de la pampa. Lancez le générique (de 40 minutes, s'affichant sur 2 longs plans, et heureusement en musique), il n'y a plus rien à voir (et effectivement on ne voit quasiment rien), plus rien à dire (cet épisode est sans paroles), plus rien à jouer.

C'est peu de dire que le film s'effondre sur lui même : La Flor décrivait sa structure comme 4 pétales, un réceptacle, et un pédoncule, mais, si jolis les premiers soit-ils, les deux derniers sont pourris, et à la joie des débuts fait place la tristesse de réaliser que le film ne nous fait plus plaisir. Peut-on accepter de voir environ 10 heures de bon, voir de grand film et d’être exaspéré pendant 3h30 ? Ce genre de questionnement revient parfois pour les séries, où l'on accepte assez facilement un ventre mou avant qu'un rebondissement relance l’intérêt. Mais un film n'est pas une série (encore moins quand il se propose comme une réponse aux séries), et les défauts du film de Llinas sont plus difficilement pardonnables : c'est comme s'il avait sciemment oublié en cours de route ce qui faisait le sel de son projet titanesque, dont les qualités incontestables doivent être absolument soulignées tout en sachant que ce sont elles qui construisent la déception de ne pas les voir se reconduire plus encore. Déception appréciable, mais déception quand même.

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Borislehachoir

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Envoyé par Borislehachoir le Mardi 08 Octobre 2019 à 20:09


Koyaanisqatsi (Godfrey Redgio, 1982)

Documentaire non narratif présentant des images sans voix off.

Documentaire culte chez une partie des fans de cinéma indé' du fait de son caractère atypique, je ne suis pas franchement le prototype du fan de Koyaanisqatsi dont l'absence de voix-off n'empêche selon moi pas les lourdeurs ni le message écologique asséné au panzer. Toute la première partie du film nous montre les richesses naturelles du monde en mode Yann Arthus Bertrand, le talent visuel en plus ; la suite qui fait intervenir les humains ne les montre que sous l'angle de la destruction, qu'il s'agisse de la pollution, du saccage visuel ou de l'industrialisation vue ici sous l'unique perspective destructrice. Les gratte-ciel, les tanks, les guerres, tout le champ lexical visuel est là pour nous expliquer que l'homme est un gros con et que la terre serait mieux sans lui.
Curieusement, je commence un peu plus à accrocher au film à partir des passages en time-lapse (c'est l'effet d'extrême accéléré qu'on voit notamment dans Requiem for a dream) et encore plus lorsque, dans la toute dernière partie, Reggio s'attarde plus longuement sur des visages d'anonymes, dont certains renvoient une étrange poésie visuelle (ils semblent se demander un peu ce qu'ils font dans toute cette agitation). Oui c'est visuellement TRES recherché, oui la musique de Phillip Glass est un petit chef d'œuvre en soi et oui le documentaire est extrêmement efficace dans son genre, mais j'accroche beaucoup plus sur la forme que sur le fond qui pour moi tient du prêchi-précha casse-couilles. En gros, c'est à l'écologie ce que le Cuirassé Potemkine est au communisme.

La 317ème section (Pierre Schoendoerffer, 1965)

L'histoire de huit journées de guerre. En mai 1954, durant la guerre d'Indochine, la 317e section locale supplétive composée de quatre Français et de quarante-et-un Laotiens reçoit l'ordre d'abandonner le petit poste isolé de Luong Ba à la frontière du Laos, pour rallier une colonne partie au secours du camp retranché de Diên Biên Phu.

Incroyable. Après le chef d'œuvre absolu du cinéma de SF français avec la Jetée, je pense avoir découvert ce que le film de guerre national a pu produire de meilleur également. L'opposition entre le jeune Jacques Perrin et le revenu de tout Bruno Crémer passe avec un naturel confondant (aucun personnage n'est caricatural) et les dialogues sonnent toujours parfaitement crédibles, notamment en étant parfois incompréhensibles (les laotiens parlent des bribes de français). La photo de Coutard est superbe, le tournage au Cambodge donne pour une fois à ce film de guerre la même crédibilité que celle des meilleurs films américains de l'après-guerre. Y a un encrage local, une volonté de faire du quasi-documentaire qui nous donne pratiquement l'impression de faire partie de la troupe et de transpirer avec eux, tout en révélant des choses un peu oubliées sur le contexte politique d'époque (les alsaciens engagés pendant la seconde guerre mondiale côté allemand par exemple). La sécheresse et la noirceur de la fin ne gachent rien.

Opération dragon (Robert Clouse, 1973)

Lee, un membre du temple Shaolin, est contacté par la police qui lui demande d'infiltrer un tournoi d'arts martiaux. Ce tournoi se déroule en effet sur une île appartenant à Han, un ancien du temple qui vit désormais du trafic d'opium et de la traite de femmes. Lee doit simplement rapporter des preuves pour que la police puisse arrêter Han, mais, avant de partir, il apprend que ce sont des hommes de main de Han qui, trois ans auparavant, tentèrent de violer sa sœur, qui se suicida. Désormais, Lee a des comptes personnels à régler avec Han…

Premier film américain pour Bruce Lee et dernier film qu'il acheva totalement avant son décès. Opération Dragon n'est ni son meilleur ni son plus mauvais ; l'expatriation, sur fond de scénario digne de Mortal Kombat avant l'heure, aura eu au moins l'avantage de donner à Bruce un budget confortable et un réalisateur meilleur que l'habituel tacheron Lo Wei ; qui plus est, l'humour mongolo de la Fureur du dragon est largement atténué ici, le ton général étant plus sérieux. Mais voilà, les américains ont eu une idée comme on les aime : partager l'affiche entre Bruce Lee et deux vedettes locales (Jim Kelly et John Saxon) pour que le spectateur occidental ne se sente pas trop gené par notre héros bridé.
Et ça gâche tout le film. Parce que l'humour autour de Jim Kelly est à chier, parce que John Saxon joue correctement mais ne sait absolument pas se battre et qu'alors qu'on attendait un énorme combat Bruce Lee/Bolo Yeung, il faut finalement que le second se fasse démonter de manière pas du tout crédible par Saxon. Surnagent de bons combats par ci par là et le rythme du film est meilleur que ceux de The Big Boss et La Fureur du dragon, mais on en sort avec le sentiment de gâchis, Bruce Lee ayant été relégué au second plan alors qu'il reste l'intérêt principal de ce film au scénario là encore assez concon.

Le Jeu de la mort (Robert Clouse, 1978)

Je peux même pas mettre de résumé tellement il y a deux films opposés sous ce titre : l'un, de 40 minutes, tourné avec Bruce Lee avant sa mort. Et, le plus connu de loin, le film américain reprenant des scènes du premier et rajoutant des doublures de Bruce et une intrigue mafieuse autour.

Le film " d'origine " est ce que Bruce a fait de mieux avec la Fureur de vaincre. Ce n'est quasiment que du combat (trois au total) culminant avec, dans sa version longue, le combat dantesque ou Bruce affronte Kareem Abdul-Jabbar. On sent que le scénario aurait été minimaliste (big up aux sidekicks de Bruce qui font de la merde non-stop durant les 40 minutes) mais l'idée de tout miser sur les combats était certainement ce qui aurait pu donner le film le plus mémorable.

Le film américain est une merde sans nom doublé d'une saloperie humaine tout à fait consternante. Prendre des rushs de Bruce Lee (montés en dépit du bon sens) c'est une chose. Piquer des scènes de films DEJA SORTIS de Bruce Lee (au point de foutre Chuck Norris au générique… parce qu'ils ont piqué les passages de la Fureur du dragon) et les alterner avec des passages ou une doublure " joue " Bruce (à la fin c'est la non discrétion la plus totale tellement la doublure est cramée) ça commence à craindre mais alors piquer les images de l'enterrement du vrai Bruce Lee pour justifier la fausse mort de son personnage là faut vraiment être dans l'optique d'enculer le respect. L'intrigue est débile, les acteurs sont nuls, on voit tellement la différence de grain quand ils prennent les images d'un autre film (surtout la Fureur du dragon qui me semble esthétiquement son film le plus pauvre, du coup on passe d'une image clean à une image moche mais ça ne dérange personne). Bref celui là faut pas le voir. Ou voyez le montage de 40 minutes mais épargnez-vous cette merde.

Cendres et diamant (Andrzej Wajda, 1958)

8 mai 1945. C’est la capitulation officielle de l'Allemagne signée à Berlin. Dans une petite ville polonaise en liesse, nationalistes et communistes cherchent encore à s’entre-tuer. Deux étudiants nationalistes, Maciek et Andrzej, reçoivent pour mission d’assassiner le secrétaire régional du parti communiste. Mais des innocents sont tués par erreur tandis que celui qui était visé arrive peu après sur les lieux. Affligé par ces luttes fratricides et le sang inutilement versé, Maciek trouve l'oubli et l’amour entre les bras d’une jeune serveuse de café. Mais le chef des nationalistes le relance pour qu’il exécute sa mission.

Revisionnage de ce classique du cinéma polonais que je n'avais pas revu depuis très longtemps. Il reste à la hauteur de sa réputation et ses qualités sont évidentes, avec tout d'abord un scénario qui raconte comment, après l'armistice, la lutte continue entre les nationalistes polonais et les relais de Moscou, sans angéliser ni diaboliser quiconque - le fait de montrer autant le sympathique délégué syndical Szczuka, que Maciek et Andrzej doivent assassiner, nous permet d'autant plus d'apprécier les doutes de Maciek. Dans ce rôle, Zbigniew Cybulski est extraordinairement charismatique avec son attitude de jeune chien fou et son introspection impossible. Il y a également quelque chose qui anticipe pratiquement Il était une fois la révolution dans l'idée que le sale boulot ne profite jamais à ceux qui l'ont subi mais aux profiteurs les mieux planqués, en témoigne les longues scènes de banquet décadentes mises en parallèle avec les actions de Maciek et dans lesquelles un vieux journaliste ivre appelle à la collectivité le niveau de compromission qu'elle a du accepter pour survivre. Mon seul regret est de ne pas avoir eu le temps de lire le livre d'Andrzejewski dont le film est adapté, ce sera peut-être pour une prochaine fois. En l'état, le film reste superbe.

Boris.
 

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Envoyé par Crutch le Mercredi 09 Octobre 2019 à 02:13


Ça fait plaisir de te voir encore découvrir des grands films comme La 317eme section après tout ce temps.

Mon dernier article en date, sur Alex Cox, un réal que les plus anciens se souviendront comme un de ceux vantés par Boris pour son Repo Man, et dont j'ai fini par voir tous les films . C'est ça aussi, le TQSAR (ou alors c'est juste moi qui suis bizarre)


Pourquoi un article sur Alex Cox? Voir même, qui est Alex Cox? Voici les deux questions que soulèvent en premier lieu cet article. En effet, Alex Cox est un réalisateur assez confidentiel, surtout au delà de son début de carrière, où ses films ont acquis un statut culte. Et l'on verra que sa carrière nous fait croiser les noms de Harry Dean Stanton, Robby Muller, Roger Deakins, Gary Oldman, Courtney Love, Rudy Wurlitzer, Dennis Hopper, Ed Harris, Joe Strummer, Iggy Pop, Jorge Luis Borges ou Christopper Eccleston. Quand au pourquoi, la raison est simple : j'aime beaucoup plusieurs films d'Alex Cox, et j'ai vu tout ses longs métrages (me manque un téléfilm de 54 minutes tourné au Japon en 2002, qui pour l’anecdote est apparemment diffusé à la télé dans Lost In Translation de Sofia Coppola s'il faut en croire ImdB), du coup ça me semblait plutôt intéressant de présenter l'intégralité de sa carrière.


Alex Cox est britannique d’origine, mais a étudié le cinéma à UCLA (la fameuse Université de Californie. Parmi les anciens élèves, Cox préfère revendiquer l’ascendance de l'indépendant Charles Burnett, plutôt que celle de Françis Ford Coppola. Son film étudiant de 40 minutes, Edge City, tourné de 1978 à 1980, met en place un cinéma de genre, cinéphile, avec un goût pour la satire et l’exagération, et qui entretient une familiarité (teinté de distance critique) avec la culture punk. C'est le premier axe de la carrière de Cox : ce court et les trois longs métrages qui le suivent seront dans le même esprit. Étant son propre scénariste, il se lance avec des condisciples dans la production en indépendant d'un long mélangeant SF et immersion comique d'un punk dans l'univers impitoyable des repossesseurs de voitures à crédit. Projet qui, par un concours de circonstances improbable dont les années 80 ont le secret, se vit acheter par Universal, la faiblesse du coup de production (2 millions de dollars) faisant pale figure au milieu de ces années d'inflation des budgets. Alex Cox est donc dans une position assez paradoxale : il précède de peu tout une génération de cinéastes indépendants américains qui explosera à la fin des années 80 (Blood Simple des frères Coen date de 1985, David Lynch allie petit budget et succès avec Blue Velvet (1987), Soderbergh gagne la Palme d'or pour son premier film en 1989) ou au début des années 90 (Tarantino et la génération Sundance), mais grâce à des films produits par des studios. Cependant, on verra que produire dans un studio n'est pas de tout repos pour un jeune réalisateur qui a le malheur d’être créatif.

Repo Man (1984) est un étrange film plein d'humour, où Emilo Estevez en punk pas bien malin donne la réplique à un Harry Dean Stanton impérial dans son rôle de repossesseur grincheux et revenu de tout. Le casting regorge de personnages secondaires mémorables, et montre un univers de marginaux oscillant entre déjantés et fatigue existentielle, une peinture évidement comique, mais qui intègre une satire d'une époque comme en gueule de bois des années 70, entrée sans s'en rendre compte dans le consumérisme et la standardisation : une idée forte de direction artistique consiste à remplacer toutes les marques de nourriture à l’écran par des packagings vierges estampillés « FOOD » ou « DRINK », autant en guise de pied de nez au placements de produits que de réflexion (indirecte) sur l'interchangeabilité des objets de consommation.

Le film partage l'acteur principal et le directeur de la photo de Paris, Texas, tourné juste après et Palme d'or la même année à Cannes. Tirer un lien entre ces deux films d'européens mêlant fascination cinéphile pour l'espace américain et exploration de la tristesse individuelle ne paraît pas si saugrenu. La distance entre les accords languissants de Ry Cooder et le thème d'Iggy Pop allié à la fine fleur de la scène hardcore de LA. n’empêche pas de constater leur qualités respectives dans deux visions différentes. Ce premier long métrage vit sa distribution sabordée par la politique interne d'Universal, en plein remaniement de producteurs, et fut retiré de l'affiche au bout d'une semaine. Mais le succès de la bande originale conduira a une deuxième sortie couronnée de succès qui alliée au passages à la TV et à la vidéo en fit un film culte, encore aujourd'hui le plus vu de son auteur.


Refusant le projet qui deviendra le très anticommuniste L'Aube Rouge de John Milius (les opinions politiques d'Alex Cox sont assez faciles à définir), Cox s'engage dans un biopic de Sid Vicious, tourné entre Londres et New York, avec une escale à Paris, et pour seulement deux fois le budget de Repo Man. Cox a l'intuition de courtiser Gary Oldman, qui après deux films au début des années 80 était devenu un acteur de théâtre acclamé. Sa performance en Sid Vicious le lancera définitivement au cinéma. Sid and Nancy (1986) montre bien l'ambivalence du regard que pose Cox sur la scène punk : admiratif de leur énergie et de leur passion, mais sans équivoque sur l'impasse tragique à laquelle conduit leur mode de vie. Le titre original du film, changé à la dernière minute par le département marketing, était Love Kills, et il convient bien mieux au mouvement descendant du film : les scènes finales, dans l'appartement miteux du couple drogué, sont terriblement éprouvantes. Le film bénéficie du travail d'un futur grand chef opérateur, Roger Deakins, qui deviendra une valeur sure pour les frères Coen. Et sa musique est l'occasion pour Cox de commencer une collaboration avec Joe Strummer, ex-guitariste et chanteur de The Clash, qui compose un quart de la musique.


Cox, suite à l'annulation d'un concert au Nicaragua l'embarque lui, les Pogues, Zander Schloss et Elvis Costello comme acteurs dans son nouveau projet, Straight to Hell (1987) un hommage au western italien tourné à Almeria dans un décor de ville fantôme, où Strummer, Syd Richardson et Dick Rude jouent trois gangsters kidnappant une femme enceinte (jouée par Courtney Love, qui avait un second rôle dans Sid and Nancy, et n’était d'ailleurs pas encore chanteuse à l’époque) après un hold-up et se retrouvant plongés dans une ville de cowboys fous. Le casting déjà improbable est en outre enrichi de Dennis Hopper (qu'il avait rencontré lors de la production de Repo Man), Grace Jones et Jim Jarmusch, encore un symbole de cette génération de jeunes réalisateurs indépendants cinéphiles. Et Straight to Hell ne peut d'ailleurs que faire penser au cinéma de Quentin Tarantino, qui pourtant bossait encore dans un vidéoclub à l’époque : de son ouverture présentant des braqueurs oisifs en costards, à la libre reprise de Tire encore si tu peux (1969) de Gulio Questi, un des western italiens les plus psychédéliques, ou encore le mélange d'ultra-violence, de dialogues outranciers et de bande-son juke-box, les similitudes sont troublantes. Coïncidences issues d'un tempérament commun, ou influence parmi tant d'autres ? Bien que les films de Tarantino soient meilleurs que ce Straight to Hell avant tout tourné pour s'amuser entre amis, il reste qu'il est étonnant de voir un film qu'on pourrait facilement identifier comme un des innombrables décalquages opportunistes qui ont suivi le succès de Reservoir Dogs et Pulp Fiction s’avérer entièrement original.


Mais après cette parenthèse festive arrive le grand moment de la carrière d'Alex Cox, celui dont il dira qu'il l'a fait naître en temps que réalisateur. Le festival de musique avorté menant à Straight to Hell était lié à l'intérêt que porte Cox pour le Nicaragua, qu'il a visité en 1984. Le Nicaragua, pays d’Amérique Centrale, a une histoire fortement liée à l'influence américaine, et le gouvernement sandiniste y avait réussi une révolution socialiste en 1979, avant d'être activement menacé par la politique interventionniste du gouvernement Reagan, qui finançait et soutenait les actes terroristes des Contras en plein milieu du réchauffement de la guerre froide. Pour faire un film permettant de raconter l'histoire des rapports d’ingérence entre les Etats-Unis et le Nicaragua, Cox choisit de raconter l'histoire vraie du « général » William Walker, un aventurier qui, au nom de la Destinée Manifeste, lança des expéditions militaires privées pour fonder des états pro-américains en Amérique du Sud, et qui réussit à prendre le contrôle du Nicaragua en 1856, son régime reconnu officiellement par le président des Etats-Unis. Jusqu'ici son propre scénariste, Alex Cox fit la rencontre de Rudy Wurlitzer, romancier et scénariste, qu'il vénérait pour les scénarios de Macadam à deux voies (1971) de Monte Hellman et Pat Garret et Billy The Kid (1973) de Sam Peckinpah. Wurlitzer lui fournit un scenario audacieux et sans concessions, et le producteur de Cox, Ed Pressman, monta une production où Universal et des distributeurs étrangers investirent le budget dans un tournage au Nicaragua, en coproduction avec l'Institut Cinématographique du Nicaragua (INCINE), et avec le soutien d'Ed Harris, l’interprète de Walker, qui s'investit totalement dans le projet (jusqu'à donner la moité de son salaire pour offrir une semaine de mise en place de plus à la production). Cox ne le savait pas encore, mais le budget de 6 millions de dollars du film serait le plus gros de toute sa carrière.

Walker (1987) est un film exceptionnel. Sa principale inspiration vient de Sam Pekinpah, mais le film ne ressemble en réalité à aucun autre : c'est l’œuvre d'un cinéaste qui a trouvé son langage, sa manière de s'exprimer. La violence et la satire présente dans ses autres films s'expriment ici à la hauteur des enjeux bien plus élevés de l'Histoire. Walker est une histoire d'illusions perdues : celles du personnage principal, et celles de ceux qui pourraient croire au bien fondé de l’interventionnisme. Le film a l'intelligence de mettre le spectateur du coté de Walker, voix-off empathique à l'appui, et de décaler le regard suffisamment lentement pour que la folie et l'horreur finissent par tout engloutir sans crier garde. De plus, un des aspects les plus singuliers du film est l'utilisation d'anachronismes, qui fonctionnent, de l'aveu de Cox, comme une manière de combattre la Monoforme. La Monoforme est un concept inventé par le cinéaste Peter Watkins (La Bombe, Punishment Park, Edvard Munch, La Commune (Paris, 1871) ), et qui considère que la narration, la durée et le style de la production audiovisuelle mondiale est majoritairement standardisée pour pouvoir s’adapter, non aux exigences artistiques, mais aux exigences de diffusion, notamment télévisuelles, ainsi qu'aux codes de narration communément acceptées. L'utilisation d'anachronismes brise le pacte classique du biopic historique « based on a true strory » que Cox voulait à tout prix éviter.

En outre, Walker est aussi un excellent film de guerre, où Cox utilise avec maestria différentes syntaxes : le montage cut et les ralentis peckinpah-esques y côtoient travellings léchés et plan longs/séquences nerveux. Le film est en outre baigné de la splendide musique de Joe Strummer et Zander Schloss, qui fait éclater le goût pour les musiques latino-américaines déjà présent dans la musique de The Clash : les trompettes retentissantes de « Filibustero », les guitares frémissante de « The Unknown Immortal », ou le boléro envoûtant « The Brooding Side of Madness » accompagnent à la perfection les images aux tons chauds et ocres. Walker , comme son sujet, cultive les contrastes extrêmes, et l'interprétation comme le ton du film sont susceptibles d'oscillations audacieuses: le statisme puritain qu'affecte Ed Harris se voit progressivement menacé autant de l'extérieur que de l’intérieur. Le film n'est pas subtil, mais la colère qui l'habite et qui s'y déverse est le prix à payer pour que la violence de sa satire ne sombre pas dans l’excès inverse du détachement ironique.

Dire que le film fut mal reçu est un euphémisme. Les critiques américaines (hormis le New York Times et Time Magazine) furent unanimement négatives, utilisant la violence, la satire et les anachronismes pour disqualifier le film. La critique du pourtant souvent clairvoyant Roger Ebert montre son rejet complet du film. Le film fut retiré des cinémas à la même vitesse que la première exploitation de Repo Man, rapportant 257 000 $, un 16eme de son budget. Ce sera le dernier film de Cox pour un studio.


Cox, tel Sam Peckinpah en son temps, choisit de se tourner vers le Mexique pour fuir l’ingérence d'Hollywood. Son film suivant, Highway Patrolman (1991), est le deuxième sommet de sa carrière. Cox y va encore plus loin dans le souhait de briser la Monoforme, par le choix de filmer quasi-intégralement en plan long ou en plan-sequences, un style influencé par le cinéma d'auteur mexicain (les formalistes d'aujourd'hui, Iñarritu et Cuaron, s’inscrivent dans cette tradition encore assez méconnue, en tout cas de votre rédacteur). Highway Patrolman est un film d’apprentissage : l'histoire de Pedro Rojas, fraîchement sorti de l’école de police, et affecté à la police routière dans une région reculée du nord du Mexique, où il va découvrir les compromissions morales face à l'injustice qui viennent avec l'exercice de son métier. Il est joué avec conviction par le juvénile Roberto Soza, dont l’interprétation, exigeant de doser la bravoure, la fragilité, l’optimisme, la colère et l’incompréhension, est à saluer. Alex Cox fait preuve ici d'une très bonne direction d'acteur, qui plus est pour un film entièrement tourné en espagnol (comme déjà certaines séquences de Walker). Si Cox se retrouve à tourner dans les mêmes villages que Peckinpah pour La Horde Sauvage , le style du film ne traite plus la violence de la manière très découpée du maître. Ici, les incidents sont l’objet d'une découverte progressive, à posteriori, qui soulignent leur inéluctabilité. Le film est bien plus noir que les précédents, et s'attache avec tension à suivre la décente d'un ingénu , non pas aux enfers, mais simplement dans la vie avec ce qu'elle a de plus injuste et banal. Cox y rejoint ici un humour noir plus buñuelien, par un mélange d'observation des rapports sociaux et de décalages oniriques. L'unité temporelle créée par les plan-séquences contribue ainsi à l’atmosphère surréelle du film. Highway Patrolman est un excellent film méconnu, à découvrir sans hésiter.


Le travail sur le plan-séquence continue dans ses trois films suivants : Death and The Compass (1996) Les Flambeurs (1996) et Trois Businessmen (1998). Death and the Compass est un téléfilm adapté de la nouvelle de Borges, où un inspecteur de police, enquêtant sur une série de meurtres, est pris au piège de son interprétation du schéma formé par les différentes scènes de crimes. Le film, d'abord une production BBC de 55 minutes, à été étendu en long métrage d'1h30 après une deuxième session de tournage. Cox transpose l'intrigue, non datée dans la nouvelle, dans un état policier rétro-futuriste, et enrichit la narration d'un contexte social en ébullition, ce qui se traduit par des scènes de violence urbaines filmées en de longs plans très impressionnants. Cox se réserve même une savoureuse apparition en temps qu'acteur en inspecteur aveugle au beau milieu d'une fusillade, une séquence dont le noir et blanc, l'intensité scénographique, la référentiallité et l'absurdité sous-jacente fait penser au cinéma d'Alexei Guerman. Si le film n'est pas aussi convaincant que les deux précédents, il reste tout a fait honorable.

En revanche, ce n'est pas le cas pour Les Flambeurs, un projet de commande que Cox a accepté pour pouvoir payer la post-production de Death and the Compass. Centré autour d'une histoire d'arnaque à Las Vegas, et malgré son casting (Vincent d'Onofrio dans un rôle, assez inhabituel dans sa carrière, de naïf dont la chance au jeu attise les convoitises, entouré de Rebbeca De Mornay, Michael Madsen ou Billy Bob Thornton), le film souffre d'un scenario trop post-Tarantino pour son propre bien (amusant au regard des débuts de la carrière de Cox) et surtout d'avoir été remonté par les producteurs : on voir très bien dans le film que des scènes à l'origine tournées en plan-séquence contiennent des coupes dans la durée faites en dépit du bon sens. Cox renie ce film, mais il existerait une version Director's Cut au Japon (avec la bande son prévue à l'origine, remplacée par les producteurs par une oubliable piste jazz).

Son projet suivant, Trois Businessmen, est plus ambitieux en terme de production comme conceptuellement : le film comme une parabole autour de la modernité. Deux businessmen en voyage d'affaires à Liverpool (ville de naissance d'Alex Cox), dans l'incapacité de manger à leur hôtel, décident d'explorer la ville de nuit, ce qui les conduit dans un périple bien plus absurde que prévu. L'influence de Buñuel est évidente : jeu des classes sociales transposé chez les VRP, critique du capitalisme et différents niveaux de réalité à l'écran. Il est difficile de parler des spécificités de ce film car une bonne partie de son discours vient du décalage entre les décors et l'attitude des personnages, décalage lui même souligné par l'utilisation systématique de plans d'ensemble. L'errance des personnages, dialoguant sans cesse alors que la réalité les entourant devient de plus en plus instable sans qu'eux même ne s'en rende compte, est légitimement surréaliste. Trois Businessmen n'a pas la puissance des autres grandes réussites d'Alex Cox, mais sa singularité en fait une expérience à découvrir sans hésiter.


Parallèlement Alex Cox à poursuivi des projets de cinéphile : un documentaire sur Akira Kurosawa, (Kurosawa : The Last Emperor (1999) ), un sur la série Emmanuelle, (Emmanuelle : A Hard Look (2000) ) et une émission télévisée, Moviedrome, où il présentait des films de genre, des classiques ou des raretés au public britannique par des petites vignettes au ton caustique, de 1988 à 1994. L'émission fut reprise après lui par Mark Cousins, le futur auteur du monumental documentaire Story of Film (2011), et reste l’objet d'un culte chez les cinéphiles anglais. C'est par exemple dans cette émission qu'eut lieu la première diffusion de Le Grand Silence (1968) de Sergio Corbucci dans un pays anglophone.

En 2002, Cox mena bien un projet très important pour lui : une adaptation de La tragédie du vengeur, une pièce anonyme attribuée à Thomas Middelton, auteur contemporain de Shakespeare, et qui pour Cox va bien plus loin que ce dernier dans la dénonciation des turpitudes de la classe dirigeante de son temps, de même pour la violence, l'humour et le cynisme. Le scénariste Franck Cottrell Boyce transpose l'action de la pièce dans un Liverpool dystopique, après la destruction du sud de l'Angleterre, et la direction artistique se permet toutes les extravagances possibles et imaginables : costumes de bric et de broc et décors collisionnant posters de propagandes, ruines et architectures de diverses époques. De même, le dialogue reprend partiellement le texte original en le collisionnant avec de l'argot moderne. Malgré ceci et une performance intense de Christopher Eccleston, Revenger's Tragedy s’avère certes un film intéressant, mais qui peine à convaincre : ses outrances, certes proches de l'esprit frondeur et populaire de la pièce originelle, apparaissent parfois comme ridicules, et la production ne pouvait pas se permettre un tournage en plan-séquences, on perd le plaisir formel des meilleurs films d'Alex Cox. De fait, à partir de ce moment, les budgets dont disposent Cox se font de plus en plus réduits. Toujours farouchement attaché à son indépendance, il s'attache à des productions à visage humain, mais qui le condamnent à des distributions de plus en plus confidentielles.

I'm a Juvenile Delinquent, Jail Me ! (2004) sera sa dernière association à une production non indépendante, pour la BBC. Ce court métrage parodique, imaginant une émission de télé-réalité suivant des délinquants commettant des crimes en live, fait tout d'abord penser au travail de Peter Watkins, on l'a vu référence pour Cox, et qui dans La Bombe, Punishment Park ou Force de Frappe tentait d’utiliser l’esthétique télévisuelle ou documentaire pour mettre en scène des fictions dystopiques dont la similarité avec la présentation habituelle d'un reportage invite à en remettre en question les codes. Mais dans le film de Cox, la satire prend progressivement le dessus sur la réflexion esthétique, et frappe tout autant le contrôle des médias par la sphère politiquo-economique que la polarisation des désirs par ces mêmes médias, la starification en tête.

Projet suivant sur des oubliés cette fois du grand écran : Searchers 2.0., un road-movie suivant deux anciens enfants acteurs partant se venger du scénariste les ayant maltraités sur un tournage lors d'une projection hommage à Monument Valley. Le film reconduit l'axe cinéphile de la carrière de Cox : les références abondent, jusqu'à devenir l'enjeu principal du film lors du duel final. Film de dialogues et de performances, inscrit dans des paysages mythifiés par le western, Searchers 2.0. est hélas peu mémorable : il lui manque le je-ne-sais-quoi qui fait passer un films de sympathique à intéressant.

Pour d'autres raisons, Repo Chick (2009) est quand à lui marquant, a défaut d'être bon, puisque ce film est quasi entièrement tourné sur fond vert ou avec des maquettes et des effets spéciaux artisanaux rappelant les plus belles heures d'Ed Wood, doté d'un scenario complètement improbable qui appelle second voire troisième degré et procure au visionnage un effet de vertige assez confondant : le film possède un espèce de faux rythme qui maintient attentif tout en étant constamment en un état d'incompréhension. Je ne détaillerais pas plus ce film parce que c'est quasiment impossible et je ne suis pas sur que ce soit réellement intéressant, mais ce fut un de mes plus étranges visionnages.

Dans le cadre de ses cours de cinéma à l'Université du Colorado à Boulder, Alex Cox a co-réalisé en 2013 avec ses étudiants un long métrage adaptant le roman de science-fiction satirique Bill the Gallactic Hero de Harry Harryson, pour un résultat assez catastrophique en terme de rythme et d’esthétique, sans compter les innombrables erreurs techniques comme des reflets de la caméra. Le film est cohérent thématiquement avec sa carrière (la satire et l'humour noir, la défiance envers les institutions), et le projet d'adaptation remontait à ses débuts, mais c'est bien tout ce que l'on peut dire de ce film qui pour le coup est réellement fastidieux à regarder .

Enfin, son dernier projet en date, après un financement participatif, est un western revenant sur la fusillade d'O.K. Corral, notoirement célèbre pour l’imprécision de son déroulement réel par rapport à sa légende. Le titre annonce la couleur : Tombstone Rashomon (2017) : il s'agira pour plusieurs des protagonistes, témoins comme participants, de raconter sa version de l'histoire. Cox y retrouve son goût pour l'anachronisme : les témoignages se font face caméra via un procédé narratif simulant l'intervention d'une équipe de documentaristes le jour d'après la fusillade, et plusieurs autres éléments viennent briser le déroulement de la fiction. On retrouve avec grand plaisir un très beau plan-séquence plein de tension lors d'une des versions de la fusillade où le sheriff tente de désarmer les Clanton avant que les Earp arrivent. Derrière le flou organisé par les versions contradictoires, le film tente de coller à la réalité historique, notamment en revenant sur les origines de la rivalité entre les parties. L'interprétation est solide, et le film est convaincant, à défaut d’égaler les splendeurs de Walker et d'Highway Patrolman.


Difficile de dire quelle sera la suite de la carrière d'Alex Cox, en ces temps troublés pour les cinéastes indépendants. Sa carrière, où le culte des débuts a vite fait place au rejet puis à l'indifférence polie, reste à découvrir ou à explorer, un effort soutenu au moins par les éditeurs américains (ses 5 premiers films sont maintenant disponibles en bluray, dont 4 dans la prestigieuse Criterion Collection) et timidement en France (une ressortie de Sid and Nancy en salles l'année dernière). C'est le genre de cinéaste qui a besoin d'un petit coup de projeteur.


Bibliographie :
X films :True Confessions of a Radical Filmmaker d'Alex Cox, 2008

 

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Borislehachoir

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Envoyé par Borislehachoir le Samedi 12 Octobre 2019 à 11:47


Le 09/10/2019 à 02:13, Crutch avait écrit ...
Ça fait plaisir de te voir encore découvrir des grands films comme La 317eme section après tout ce temps.
 

Mais grave. Je suis aussi très content d'arriver encore à m'enthousiasmer comme ça de temps en temps.

Meurtre mystérieux à Manhattan (Woody Allen, 1993)

Carol et Larry Lipton vivent une vie confortable dans un luxueux appartement de Manhattan. Ils font la connaissance de leurs voisins, un couple plus âgé. Le lendemain, la femme décède brutalement d'une crise cardiaque. Carol n'arrive pas à croire à ce décès soudain et se met à enquêter sur ce veuf un peu trop joyeux. Elle entraîne dans ses investigations son mari Larry, qui préférerait de beaucoup la tranquillité de son foyer, surtout quand les menaces et dangers se mettent à pleuvoir sur ce couple d'enquêteurs improvisés. Mais Carol trouve une oreille attentive auprès de Ted, récemment divorcé, pendant que Larry rencontre un auteur, Marcia, diablement séduisante. Les tribulations liées à l'enquête vont ressouder leur couple qui commençait à s'ennuyer et rapprocher Ted et Marcia.

Pas toujours client de Woody Allen, je me suis vraiment marré devant celui-ci. C'est bourré de répliques énormes (dont la fameuse sur le fait qu'écouter Wagner donne envie d'envahir la Pologne), le duo comique Woody Allen-Diane Keaton fonctionne absolument du feu de Dieu et la jonction entre le polar et la comédie fonctionne très bien - sauf peut-être lorsqu'apparaît une révélation finale bien pratique qui sort un peu de nulle part et permet de remettre artificiellement le récit sur les rails -. Voir Woody chercher à s'enfuir pendant que son voisin lui expose point par point sa collection de timbres, observer les jeux de séduction entre Woody et Angelica Huston d'un côté et Diane Keaton et Alan Alda de l'autre, entendre le couple jalouser ses voisins " je suis sur qu'ils font l'amour toutes les semaines " m'ont fait passer un excellent moment. Me concernant, le côté un peu bancal de l'intrigue (là ou je ne retrouve que rarement ce défaut chez Allen) est largement compensé par le rire qu'il m'a procuré. Et l'utilisation de parallèles avec le film noir (Assurance sur la mort et la Dame de Shanghai sont dans la place) fonctionne parfaitement. Excellent.

A Cappella (Lee Su-jin, 2013)

De nos jours, en Corée du Sud. Victime d'un viol collectif commis par des fils de notables, Han Gong-ju est contrainte de changer de lycée et d'emménager chez la mère d'un de ses professeurs, le temps que l'enquête policière se poursuive.
Malgré le traumatisme, elle se fait de nouvelles amies qui, subjuguées par ses qualités de chanteuse, veulent la présenter à une société de production. Mais Han Gong-ju s'y oppose violemment : les parents des violeurs tentent en effet de la retrouver et de la forcer à retirer sa plainte…


A parler sans arrêt - et j'en suis le premier fautif - des polars coréens bourrins on en finirait par oublier que la Corée du sud produit aussi des drames largement dignes d'intérêt ; je compare un peu ce film à Blood Island, dans les deux cas il s'agit d'un premier film ou le réalisateur intègre des thématiques féministes à un contexte de genre (le slasher dans Blood Island, le film d'enquête ici).
Le film a indéniablement ses moments forts (l'avant-viol tétanisant, le passage avec la mère de l'héroïne et surtout l'arrivée des parents d'élèves en mode horde de connards dans la nouvelle école de l'héroïne) mais il est très balisé, très clair, trop clair dans son message. Ce n'est pas une mauvaise idée en soi de donner à l'héroïne une sorte de deuxième figure maternelle elle-même en proie à la honte sociale (elle couche avec un homme marié) mais ça ne fonctionne pas tout à fait (notamment parce qu'une femme aussi forte n'a pas grand chose à faire avec un type aussi minable). C'est très bien interprété mais je trouve que la structure en flashback pour terminer sur le traumatisme et la libération de l'héroïne ne fonctionne pas d'un point de vue émotionnel et alourdit le récit. Ca reste un film touchant qui assume frontalement la noirceur de son histoire (quand la copine de l'héroïne lui demande si elle a déjà embrassé un garçon et qu'elle répond " 43 " j'étais ).

Simple Men (Hal Hartley, 1992)

Bill est triste. Sa femme l'a quitté pour son partenaire dans le casse d'un dépôt. Il fait part de son chagrin à son frère, Dennis, qui n'a qu'une idée en tête : retrouver leur père disparu, grand joueur de base-ball en cavale, auteur d'un attentat anarchiste meurtrier devant le Pentagone, mais considéré par beaucoup comme un héros. Il le convainc de partir à sa recherche.

Hal Hartley est un réalisateur quasi légendaire notamment connu pour ses films indépendants des années fin 80 - début 90. Au vu de Simple Men, il est évident que son style a eu une influence évidente sur bon nombre de cinéastes indépendants contemporains (Kelly Reichardt la première). Sa mise en scène est faite de petites scènes un peu absurdes, de personnages loufoques qui ne savent pas ou ils vont (génial braquage d'intro tout aussi dédramatisé que celui de Certaines femmes), de moments de digressions qui ne font pas avancer l'intrigue.
Du coup, je pense que l'avis du spectateur sera en fonction d'un facteur principal, celui de l'attachement à la galerie de personnages zonards qu'on nous présente, à la coolitude de Robert John Burke, à la solitude de Karen Sillas ou la sensualité de Elina Löwensohn. En ce qui me concerne, ces gentils péquenauds m'ont ému à plusieurs moments et le fait que le film arrivait régulièrement à me surprendre en partant dans des directions imprévisibles (voir l'hommage à Bande à part que je mets en vidéo ci-dessous), j'ai trouvé mon compte dans ce petit film fragile mais qui m'a fait beaucoup de bien le temps d'un visionnage.



La Garçonnière (Billy Wilder, 1960)

C. C. Baxter est un petit employé d'une importante compagnie d'assurances, très gentil, seul et célibataire au milieu de New York, ville hyper active ou l'être humain est soumis à la cohue, le productivisme, la publicité et la solitude. Il met son appartement à disposition de ses supérieurs comme garçonnière, par complaisance et servilité ; il espère des avantages professionnels... et il faut bien payer le loyer. La gestion des quatre « co-locataires » est un casse-tête, son appartement est laissé sens dessus-dessous, ses voisins et sa logeuse sont indignés de ce défilé de jolies filles et du bruit, qu'ils lui attribuent, et il doit parfois attendre dehors à des heures tardives ou dans le froid.

C'est très étrange : pour une comédie, j'ai rarement ri à l'exception de quelques quiproquos remarquablement écrits justifiant le fait que les voisins ont tous l'impression que Jack Lemmon est un Casanova alors qu'il vit dans une totale solitude. Mais même si sur ce plan j'ai bien plus trouvé mon compte chez Woody, le film de Billy Wilder m'a semblé en revanche parfait dans sa manière de dépeindre le côté pathétique de l'arrivisme social, la façon dont Jack Lemmon ne cesse de s'abaisser pour rien, dont il est prêt à vendre sa potentialité de vie privée (c'est bien illustré par le fait qu'après sa promotion, lorsqu'il montre son bureau à Shirley MacLaine, il tombe sur un couple occupé à s'embrasser à l'intérieur : il n'a aucun espace à lui, sa vie est une perpétuelle sous-location). Jack Lemmon et Shirley MacLaine ont une excellente alchimie, le film est parfaitement rythmé et réussit de par son écriture à donner du relief à certains personnages secondaires a priori ingrats (le Dr Dreyfus, voisin du héros qui se retrouve toujours dans la position du témoin de sa " vie dissolue " ; la secrétaire miss Olsen, précédente victime de l'amant de Shirley MacLaine qui paiera cher son honnêteté). Un excellent Billy Wilder léger qui ne dépareille pas face à Certains l'aiment chaud ou Sept ans de réflexion.


Joker (Todd Phillips, 2019)

En 1981, à Gotham City. Arthur Fleck travaille dans une agence de clowns. Méprisé et incompris, il mène une vie en marge et vit dans un immeuble miteux avec sa mère, Penny. Un soir, il se fait agresser dans le métro par trois hommes, le poussant à les tuer en retour. Si son geste inspire une partie de la population, Arthur bascule lui peu à peu dans la folie pour devenir le Joker, un dangereux tueur psychotique.

Vous allez tous l'aimer et moi non. Je vais copier-coller ce que j'en ai dit ailleurs parce que c'est souvent énervant de se répéter :
A entendre tout le monde parler de radicalité j'en viens a me demander si l'on a tous la même définition du mot. Pour moi la radicalité consiste a choisir un cap et à s'y tenir a tout prix. Or, le Joker est pratiquement le contraire, a savoir un louvoiement entre deux opposés.

Par exemple, en interview, Phillips se défend de banaliser la violence du Joker. Or, a chaque fois qu'elle est supposée avoir lieu sur un personnage non détestable (la psy, la voisine) cette violence disparaît du champ. Le contraste entre la brutalité de certains moments et l'édulcoration absolue de ceux-ci montre bien la volonté de Phillips de jouer sur deux tableaux en même temps, celui de la victime redresseuse de torts et celui de l'anti héros amoral. Sans choisir réellement. Esthétiquement on alterne entre le New York crado de Scorsese ou Ferrara et un onirisme bien plus contemporain qui veut a la fois montrer la ville comme un enfer réel et comme une création mentale d'un aliéné.

Pareillement pour la vision politique. Un coup le Joker est un opportuniste surfant sur la contestation ambiante (il se déclare apolitique) un coup il est l'émanation naturelle de la colère populaire (il dit " nous sommes blabla.... "). Sans jamais que le film tranche. Joker essaye de parler a la fois au public intello/libéral en lui disant du coin de l'œil " c'est un anti héros hein " et d'autre part aux enragés anti Wall Street. Il bouffe a tous les râteliers, et la com de Phillips anti SJW a bien réussi a faire oublier que sa construction de personnage ou celui-ci n'est défini QUE par une suite de moments d'humiliation, de cruauté et de violence subis est exactement la manière dont les SJW n'ont de cesse de reecrire l'histoire sous un angle victimaire.

Et qu'on ne vienne pas me parler du joker mythomane qui réinvente son existence. Ca, c'est le joker de Ledger qui débarquait ex nihilo dans Gotham, sans passé. Celui de Phoenix a un nom, une mère et un appartement. Il n'est pas ce clown protéiforme mais une figure quotidienne de loser triste. Ses volte face ne sont pas ceux d'un aliéné mais ceux d'un scénariste opportuniste.

Bref, le Joker veut séduire tout le monde. Il tape a gauche quand il s'agit de récupérer la contestation sociale et à droite quand il fait du bon fils a sa maman le paillasson d'un système véreux. Il se la joue Nouvel Hollywood mais cache la violence de son Travis Bickle quand elle se fait trop dérangeante. Joker, c'est un yaourt passe du gout Nouvel Hollywood a l'arome Nouvel Hollywood, c'est la contestation propre, la violence maîtrisée, la révolution qui reste dans les clous.

Boris.
 

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Envoyé par kakkhara le Samedi 12 Octobre 2019 à 18:54


Du neuf : 

Jeanne (Bruno Dumont, 2019)

Les dernières batailles de Jeanne d'Arc et son procès.

Je suppose que Jeanne est un bon film, je vois plein d'idées, mais je n'ai pas réussi à rentrer dedans. On a ici un film arty aux dialogues déclamés, se prenant, à part pour la beauté de certaines prises de vue, pour du théâtre.
Il y a bien des idées de mise en scène, et Bruno Dumont déploie à outrance son cinéma d'absurde et de gueules cassées, il y a quelque chose de fascinant à voir jusqu'à quel point il fait corps avec son procédé, même en n'appréciant pas le film.
A noter la bande-son, parti pris qu'on aime ou qu'on aime pas, pour ma part entendre un piètre chanteur s'égosiller d'une insupportable voix de tête sur de vagues tonalités électro a été pénible.

Gemini man (Ang Lee, 2019)

Will Smith en assassin surdoué, faisant face à son clone plus jeune envoyé comme étant le seul capable de l'arrêter.

Là encore, il y a quelque chose de fascinant à voir Ang Lee aller jusqu'au bout des innovations techniques, pour en ressortir avec des images d'une telle qualité.
On aurait aimé que le fond suive la forme, nous proposant une histoire d'une rare qualité, malheureusement ce n'est pas le cas, ainsi Gemini Man ressemble à un super emballage vide (déjà utilisée maintes fois cette image...).
L'ensemble reste distrayant, grâce au rythme, et grâce à un second rôle féminin inhabituellement efficace et présent, ce qui change des stéréotypes. Malheureusement le personnage bien trop lisse de Will Smith (est-ce une surprise?) plombe tous les questionnements que le film évite systématiquement de se poser.
Bref, on se demande à la fin, tout ça... pour ça?

Ad astra (James Gray, 2019)

Roy Mac Bride est envoyé en mission ultra confidentielle, parce que des rayons envoyés depuis Neptune menacent l'existence de l'humanité. Il se pourrait que son père, porté disparu au large de Neptune, en soit à l'origine.

Le précédent film de James Gray donnait la part belle à l'exploration. C'est encore le cas ici, troquant la jungle contre l'espace.
Et c'est réussi. Dans une ouverture hallucinante, James Gray met la barre haute, et cela ne se démentira pas tout au long du film. Il y a des séquences merveilleuses, celle sur la face cachée de la Lune et celle sur le vaisseau en perdition notamment.
Un thème qui semble récurrent chez Gray, c'est celui de la relation père-fils (je me trompe peut-être, mais des trois films que j'ai vu, The lost city of Z et La Nuit nous appartient en plus de celui-là, c'est le cas). Même si ici c'est plus l'héritage qui est traité ici, l'intériorité d'un fils qui a tenté de se construire avec ce qu'un père absent lui a légué, donnant au film toute sa profondeur.
C'est d'ailleurs également la limite du film, qui échoue à s'ouvrir sur autre chose, comme s'il n'y avait rien en-dehors de cette relation, ce qui donne une fin très peu convaincante et une conclusion ratée.
Dommage donc, car le reste du film est superbe, visuellement et aussi sur le fond, brossant comme en passant des tableaux sur pas mal de thèmes récurrents du genre.
Quoiqu'il en soit une réussite à porter au crédit du film, sa volonté de démontrer qu'on peut fuir aux confins du système solaire, le plus grand des voyages demeure intérieur.

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"_Je joue attirance mortelle sur mon pisteur invisible et je t'attaque avec.
_ouais, j'ai pris 1
_ok ..."


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