Mes traductions de la storyline des Guildes de Ravnica

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SirMalo

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Envoyé par SirMalo le Vendredi 12 Octobre 2018 à 15:47


Bonjour à toutes et à tous,

comme vous le savez sûrement, Wizards a décidé d'arrêter la traduction des storylines en français. Et alors que j'entamais la lecture de la première histoire de notre retour à Ravnica (et ayant du temps à tuer lors de mon stage...), j'ai entrepris de la traduire en français.

J'espère n'avoir pas laissé de faute et que mes tournures seront agréables à lire. Je ne suis absolument pas un traducteur professionnel, et je fais ça uniquement pour le plaisir, donc ça peut ne pas être parfait.

Libre à vous d'en faire ce que vous voulez, une mention de mon pseudo me suffit si vous souhaitez la publier autre part.

Bonne lecture !


Histoires au format PDF (avec images) :

Chapitre 1 : Sous le manteau du brouillard
Chapitre 2 : Expérimentations en eaux troubles
Chapitre 3 : Clans & Légions
Chapitre 4 : Les moments précieux de la mort
Chapitre 5 : À venir...

*
* *
 
Sous le manteau du brouillard


 
Un insecte de surveillance aux ailes argentées bourdonne près de mon oreille, et je résiste à la tentation de l’envoyer promener. Quiconque a élaboré la magie qui l’anime a bâclé son travail, sans doute s’agissait-il d’un mage de l’esprit de première année. On dirait que l’insecte passe plus de temps à me fixer du regard qu’à m’aider à localiser les cargaisons d’armement. Mes premières semaines de recherches aux docks n’ont pas donné grand-chose, mais maintenant, pas un jour ne passe sans que je ne trouve une caisse remplie de maillets de combat incrustés de pierres précieuses, d’armures en ossements gravés ou encore de couteaux aux lames empoisonnées. La tension croît sur Ravnica, j’en suis persuadé, mais la Maison Dimir n’attend pas de moi que je réfléchisse. Ils veulent que j’accomplisse mon travail de l’ombre sans être repéré. Avec des cageots empilés par douzaines et agencés en dédales de fins couloirs, ma tâche est simple – donner un rapide coup de pied-de-biche, déjointer légèrement la caisse, juste assez pour laisser l’insecte pénétrer à l’intérieur, puis refermer le tout et passer à la suivante… seulement cette fois, une lueur au fond de la boîte attire mon attention.
 
L’étiquette indique "Whisky des Contreforts du Sud", et sans autre questionnement, je m’empare de la bouteille. Onéreux, enchanté et vieilli dans des fûts élaborés à partir d’arbres millénaires arrachés aux forêts sélesniannes. Immoral ? Peut-être. Lucratif ? Assurément. Cela leur apprendra à ne pas sceller leurs caisses avec un sort plus puissant. L’insecte pépie pour me presser, mais il est trop tard. Mon esprit imagine déjà les piles de zinos d’or que je pourrais me faire en échange. La longue et fine bouteille rentrerait à merveille dans la poche intérieure de mon pardessus. Personne ne la remarquerait. Soudain, l’insecte siffle, puis je lève les yeux, à présent bien trop conscient des bruits de pas approchant dont j’aurais dû être à l’affut. Tu es trop distrait, Merret, trop distrait. La brume tourbillonne, ma cachant des regards, et dans ces derniers instants de répit, je glisse délicatement la bouteille dans le rembourrage de paille, referme adroitement le couvercle et tente de prendre un air insoupçonnable.
 
« Ah ! Merret ! », lance Wothis le Grincheux, mon patron, les bras croisés sur son large buste, ses cornes raclant contre les cageots entreposés de part et d’autre. Mi-homme, mi-taureau, 100% tortionnaire. « Exactement la personne que je cherchais. »
 
« Monsieur ? » dis-je, détournant le regard, tentant de me fondre dans le décor. J’aurais aimé pouvoir me rendre invisible.
 
« Le brouillard est trop épais, et un potentiel investisseur voudrait voir le port. Disperse-le pour moi. »
 
« Warwick ne pourrait pas le faire ? », demandé-je. Je peux me charger d’une modeste brume, mais malgré un an d’entraînement, je n’ai pas la concentration nécessaire pour dégager le port en entier. Je n’arrive pas à me focaliser suffisamment pour infliger des cauchemars ou purger les mémoires. En tant que sycophante de la Maison Dimir, je n’ai pas grand-chose à offrir si ce n’est le maniement du pied-de-biche à des fins malintentionnées.
 
« Warwick n’est pas là. Et Bender non plus. Tu es le seul qui reste. » Il me toise de bas en haut, ses naseaux se dilatant. « Malheureusement. »
 
« Merci pour cette marque de confiance. »
 
« Et que dirais-tu de ne pas le dissiper et de ne pas être payé pour la journée ? »
 
« Je m’en occupe, patron. » dis-je en grommelant. J’aurais dû prendre cette satanée bouteille. Il n’y a aucune chance pour que je réussisse à disperser cette purée de pois. Les factures restent impayées, ma femme et mes enfants ont faim. Encore un jour avec une paie réduite et des dettes accrues. Je me traîne jusqu’au bord du ponton le plus embrumé et me concentre sur la magie qui m’entoure. Je tire, aspirant la puissance comme une inhalation d’éclats de verre, puis relâche, une force intérieure rugissant tel le tonnerre dans mes tympans. La brume virevolte, péniblement, s’effaçant à mi-chemin de l’autre berge, juste assez pour révéler une goélette Simic aux voiles ornées de spirales filant sur l’eau. Deux ondins maintiennent l’allure à côté de l’embarcation. Le meneur se tourne vers moi, me lance un regard pesant, puis appuie une main palmée contre la coque du navire. En quelques secondes, la goélette s’engouffre dans des vaguelettes d’un vert bleuté, indistinguable de la rivière agitée à moins de savoir où regarder exactement.
 
Wothis le Grincheux frappe ses sabots, son rire profond et rugueux presque identique au son d’une corne de brume. « Personne n’a rien vu, n’est-ce pas ? » dit-il, se tournant vers son investisseur, son sourire narquois s’étirant dans toute sa largeur. « Le manteau de brouillard est un élément-clé pour le genre d’embarcation qui navigue en ces lieux, et comme vous pourrez le constater, il est très profitable. Demain, je vous montrerai l’embarcadère. Ce soir, nous buvons aux commencements d’un nouveau partenariat ! » Wothis le Grincheux fait claquer son immense main hirsute dans le dos de l’investisseur, le poussant en avant, non sans me lancer un regard noir.
 

____________________



Mes pieds patinent doucement sur les marches mouillées de mon immeuble, évitant ainsi le craquement des feuilles mortes accumulées dans les coins. Les édifices s’entassent, leurs tours pointant le ciel comme une gigantesque gueule pleine de crocs acérés. Le soleil ne brille pas ici. Jamais. Trou-de-Serrure n’est pas le pire des quartiers dans lequel nous aurions pu atterrir, mais parfois la morosité me gagne.
 
Neuf étages plus haut, je jette un œil à travers une fenêtre ouverte. On dirait que notre petite cuisine a été frappée par un sort de rage, les bols renversés et les cuillères à mesurer s’étalant sur le comptoir. Tashi berce le bébé sur sa cuisse alors qu’elle concocte une pommade de soin mineur à base de mélange de marante et d’épices de sanglier pour la vendre sur le marché. Elle opère sous la faible lumière d’une unique bougie flottant dangereusement près du tissu ample de sa cape – c’est la cape verte avec le feuillage doré brodé sur la bordure. Je crois me souvenir qu’elle lui allait bien, autrefois.
 
Je tourne la poignée et pénètre à l’intérieur. La Maison Dimir n’a rien à envier aux pièges qui jonchent le sol. Des cubes de bois attendent patiemment, prêts à empaler un pied nu avec leurs arrêtes aiguisées. Un xylophone à roulettes fait d’os de côtes offre un aller simple vers une nuque brisée. Je les contourne, presque machinalement, et m’apprête à faire part des nouvelles à ma femme.
 
« Merret ! Enfin, » s’exprime Tashi, exaspérée. Elle me fourre le bébé dans les bras ; il a presqu’un an, mais il est toujours aussi difficile et inerte qu’un nouveau-né. Il ne pèse quasiment rien, son nez dégoulinant constamment de morve. Deux secondes que je le porte, et j’en ai déjà plein sur les manches.
 
« Papa ! » Soche, mon ainée, déboule sur moi, sa tête me frappant en plein dans l’estomac. Je cache la douleur en tirant un sourire forcé.
 
« Soche, tu ne devrais pas être au lit ? », demandé-je.
 
« Je voulais te voir, Papa. »
 
« Tu as été gentille avec ta mère aujourd’hui ? »
 
« Une vraie terreur », me confie ma femme. « Elle a cassé une bouteille d’essence de racine de mat’ti. Elle est complètement fichue ! Où allons-nous trouver l’argent pour remplacer tout ça ? De l’argent pour utiliser les lampes à gaz pour que je n’aie pas à me tordre toute la journée sous cette bougie ? De l’argent pour nourrir le bébé ? »
 
« J’ai acheté une douzaine de pommes hier », lui rappelé-je, en espérant retarder la prochaine question. Où est la paie du jour ? Si le travail aux docks constitue une mission de couverture, l’argent est bien réel, et c’est la seule chose qui nous maintienne la tête hors de l’eau.
 
« C’est de la bouillie, Merret. De la bouillie du marché. Le bébé mange sans arrêt et ne grossit pas. Il a besoin de vraie nourriture. Le genre qu’on obtient chez un vrai épicier. Quelque chose qui le rassasie ! »
 
« J’ai besoin de me rassasier aussi ! », lance Soche, en se frottant le ventre. « Et Maman ! »
 
« Au lit ! », ma femme lui réprimande-t-elle, et ses petits pieds trainent sur le sol en pierre. Soche se glisse dans son coin nuit à côté du foyer éteint, puis s’ensevelit sous un tas de couvertures usées, des sorts de réchauffement s’en échappant comme des touffes de fourrure.
 
« Je… » J’ouvre la bouche, mais pour la première fois, je remarque à quel point le visage de ma femme est devenu maigre. Ma gorge se noue et les mots ne sortent tout simplement pas. « Je ne… »
 
« Ramène à manger, Merret. Peu importe comment. » Elle retire le petit de mes bras, puis se met à enchanter sa mixture à nouveau.
 
Je reste là pendant un moment, tentant de comprendre comme j’en suis arrivé ici. Le brouillard s’engouffre par-dessous la porte d’entrée, tournoie autour de moi, comme si la tristesse de la ville était venue réclamer son dû jusque dans ma maison. Jusqu’à l’intérieur de moi.
 

____________________


 
Voler l’épicier n’est vraiment pas une tâche aussi simple que de voler au marché des bas quartiers de Trou-de-Serrure. Oh, ils sont assez gentils ici. On dirait que j’ai une escorte personnelle, qui me suit cinq pas derrière moi, un grand sourire aux lèvres. J’essaie de le semer, serpentant dans les allées devant un étalage de tourtes à la viande d’élan, une pile flottante de fruits immaculés et des bacs remplis de douzaines d’espèces d’asticots vivants pour Viashino averti. Mais peu importe ce que je fais, le préposé du marché est toujours là. Je suppose que ce même visage balafré qui dit « ne plaisante pas avec moi » aux vendeurs des bas quartiers de Trou-de-Serrure, crie ici « au voleur » dans ce quartier huppé.
 
Je repars les mains vides, mais avec de la chance, j’entends le rire rugueux qui m’a laissé mal à l’aise en bien des occasions. Je lève les yeux et aperçois Wothis le Grincheux et son ami l’investisseur sortir d’un appartement quatre étages plus haut – l’immeuble est gigantesque et est enchanté par des sorts de nettoyage, le rendant imperméable aux graffitis. Je savais qu’il vivait dans les environs, mais je n’avais jamais imaginé que sa demeure fût si belle. D’énormes lampadaires à gaz fendaient la grisaille, leur lumière faisant scintiller les médaillons d’argent qui ressortaient de la pierre rouge polie du bâtiment.
 
J’observe la manière dont les piétons se bousculent entre les voûtes d’un marché à l’autre. Un énorme indrik hurlepiaffe se traîne péniblement à travers les rues, muselé avec tant de magie que je peux la sentir frétiller de là où je me trouve. Des foules de travailleurs s’accrochent au harnais attaché sur son dos, rentrant chez elles depuis des quartiers lointains. Une heure de pointe de fin de journée classique. Des centurions à cottes de maille et casques à cadrans solaires sont également positionnés là, s’assurant que la circulation de nuit demeure réglementaire. Je m’enfonce un peu plus dans l’ombre, et une fois que je suis assuré que mon supérieur se dirige bien vers la taverne, je m’introduis chez lui. Le sortilège sur sa serrure est puissant. Bien trop difficile à rompre pour moi, mais les minotaures sont bien trop bêtes pour se considérer comme de potentielles cibles. Je contourne le bâtiment, bondis sur le balcon et, bien entendu, trouve une fenêtre déverrouillée.
 
Je me glisse à l’intérieur, tel une nappe de brouillard, mes pieds touchant à peine les onéreuses dalles de céramique au sol. Un doute me saisit. Bien sûr, j’ai chapardé des produits sur le marché à quelques occasions, et dans certaines poches, également, mais je n’avais jamais fait quelque chose de la sorte. Je me retourne presque, me rappelant le regard déçu sur le visage de mon mentor alors que j’échouais à extraire ne serait-ce qu’un seul fil de mémoire après six mois d’instruction intense. « Peut-être que tu n’es pas fait pour la Maison Dimir. », m’avait-elle dit. Enfin, pas dit. Elle avait embourré cette pensée dans mon esprit, aussi facilement qu’un claquement de doigts. Et il s’y trouve toujours, sans cesse. Je l’évince en secouant la tête. Mon père était un espion. Ainsi que trois de mes tantes et un oncle. La furtivité, c’est de famille. Je peux le faire.
 
Après un court trajet le long d’un corridor étroit, je me retrouve dans la cuisine. Une lumière à gaz est allumée au minimum, juste assez pour émettre une douce lueur dorée sur l’armoire. Là, sur le comptoir, un panier à pain. J’en prends un morceau, copieux, presqu’une brique dans ma main. C’est parfait. Mais à proximité de la corbeille, niché dans une grille en métal, quelque chose d’autre attire mon attention. Des élixirs, par douzaines. J’attrape une des bouteilles, longue et rectangulaire, et faite d’un verre épais et artisanal. Sur l’étiquette métallique est inscrit « Élixir de concentration ». À l’intérieur, un liquide bleuté scintille comme s’il était baigné du plus pur clair de lune. Le pain, c’est bien. Cela nourrira ma famille pour ce soir, mais ça… Juste quelques gouttes de cet élixir pourraient changer nos vies. Je pourrais renforcer ma magie, faire mes preuves aux docks. Regagner la faveur de la guilde. Juste quelques gouttes. Mon patron ne s’en rendrait jamais compte.
 
Je débouche le bouchon de liège, et un parfum remonte jusqu’à mes narines… Une senteur douce, cotonneuse, comme celle des draps propres. J’ouvre la bouche, incline le flacon.
 
Une goutte.
 
Deux.
 
Juste une de plus, pour faire bonne mesure. Mais avant que la dernière goutte ne touche ma langue, la lumière se met à scintiller de plus belle. Mes yeux s’écarquillent, et l’élixir se renverse sur moi, le long de ma colonne vertébrale, coulant sous mon pardessus. Je reste là, immobile tel une statue, alors qu’une minotaure pénètre dans la cuisine, ses yeux à demi clos, des bigoudis dans la crinière, une longue robe de nuit la drapant jusqu’aux sabots. Jamais dans mes rêves les plus fous je n’avais imaginé qu’il y avait une personne sur Ravnica qui puisse vouloir se réveiller à côté de Wothis le Grincheux chaque jour. Un vrai espion aurait pris le temps de se renseigner sur ce genre de choses. Comment ai-je pu me faire tant d’idées ? Je n’ai rien d’un espion. Je suis à peine un voleur.
 
Elle baille, et je peux voir chacune de ses dents dans sa bouche visqueuse. Rien de bien menaçant ici, mais je suis sûr qu’elle serait capable de me trancher en deux, si elle le voulait. Je demeure là, entièrement à découvert, n’osant même pas dissiper la brume autour de moi. Elle est à moitié éveillée, à moitié consciente, mais je peux garantir qu’elle ne le sera pas pour longtemps. Elle se dirige vers le comptoir en face de moi, sort un grand bol métallique, et le remplit à ras-bords d’herbe. Puis elle s’empare du bol et se retourne vers moi.
 
Mais l’élixir, je le ressens à présent. Mes pensées éparses se canalisent, et je commence à contracter des muscles dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Le bout de mes doigts s’illumine, et des sorts presque oubliés me viennent aux lèvres. Je puise la magie, et son esprit s’ouvre à moi comme une carte. J’étire par-ci, pousse par-là, et me retrouve soudainement invisible à ses yeux. Elle est à deux doigts de me toucher, mâchant, encore et encore… la bouche ouverte, les yeux distants.
 
La culpabilité me submerge. J’ai gâché tant d’élixir. Je devrais m’excuser. Offrir de le rembourser. Mais nous ne pouvons nous arroger de ce genre de dettes, en particulier au vu de ce que son mari me paie. Quand il me paie. De plus, si la Maison Dimir découvre que je suis si mauvais en espionnage, je pourrais bien disparaître pour de bon. Je fais ce qu’il y a de mieux à faire, rester muet. Même si je dois rester ici toute la nuit. Je retiens mon souffle et serre le morceau de pain contre ma poitrine comme s’il s’agissait d’une bouée de secours, me rassurant en me disant qu’il nourrirait bientôt mon enfant affamé.
 

____________________


 
Une décharge de magie érupte de mes doigts, le brouillard se soulève sur mon chemin, et pour la première fois depuis que je travaille aux docks, la rivière est dégagée à perte de vue. Ce n’est pas la plus belle des vues – des eaux boueuses, criblées de déchets et de touffes de plantes aquatiques envahissantes. Je ne peux m’empêcher de me demander si le mystère n’aurait pas été plus profitable à Wothis le Grincheux plutôt que son investisseur ne voie la vérité nue. Ce n’est tout simplement pas un port fantastique, mais ce n’est pas mon problème.
 
Je trépigne, avec tout ce pouvoir dans mes doigts, voulant me pavaner un peu devant les autres dockers. Yantis dirige la grue, un Viashino aux doigts collants, le genre parfait pour tirer des leviers et actionner des engrenages. Mais sa langue fourchue a proféré bien des insultes reptiliennes à mon encontre, et une petite revanche me semble opportune. Je me remémore le sortilège de cauchemar qu’on m’a enseigné. Il ne s’était jamais matérialisé autrement que par une légère brume auparavant, mais maintenant, des rubans jaillissaient du crâne de Yantis, n’attendant qu’une chose : que je les retire. La puissance bout en moi, si vite, si fort, que je ne peux la contrôler. Yantis hurle, combattant ce terrifiant vide devant lui. Le mât de la grue pivote sur la gauche, la caisse se détache et se renverse, chutant vers Wothis et son investisseur, situés au bord du quai. Mon supérieur voit la caisse, aperçoit Yantis se débattant, et discerne les derniers lambeaux de sort de cauchemar émanant de mes doigts. Il me fusille du regard, puis pousse l’investisseur dans l’eau in extremis. Il a lui-même à peine le temps de sauter avant que le cageot ne s’écrase pile là où ils se tenaient.
 
Du verre se brise, et une intense odeur de whisky emplit l’atmosphère. L’insecte de surveillance me bourdonne à l’oreille une fois de plus, ses petites ailes vibrant, les yeux pointés sur moi. Non, rien ne peut dissimuler la destruction d’une cargaison d’un millier de zinos. Je grimace. Perdre mon travail, je pourrais gérer. Mais une fois que la Maison Dimir viendra frapper à ma porte, ce sera comme si je n’avais jamais existé. Pff… Comme s’ils allaient frapper à la porte.
 
Aussi vite que je peux, je cours jusqu’à chez moi. Nous allons devoir emporter ce que nous pouvons et quitter Trou-de-Serrure, peut-être partir nous cacher au Quartier fantôme, ou chercher refuge dans les ruines de Mahovana, faisant de la cime des arbres notre nouveau foyer. J’agrippe la poignée de la porte d’entrée si fort que le verrou vole en éclats, les restes d’un faible sortilège se volatilisant comme des petits tourbillons dans l’air. Tashi se tient là, portant le bébé, un sourire gigantesque aux lèvres.
 
« Merret ! Merret, il faut que tu voies ça ! » Elle soulève le nourrisson en l’air. Il est resplendissant. Ses joues sont dodues, son sourire baveux, éclatant, et ses yeux sont emplis d’une étincelle indéniable. « Il est si fort à présent. Sens ses muscles. Je suis sûre qu’il va se mettre à marcher dans les jours qui viennent. » Puis elle me tire à elle, m’embrassant la joue, me confiant à quel point elle m’aime, et je n’arrive pas à placer un seul mot sur le fait que nos vies vont radicalement changer, et pas pour le meilleur. « Tout va bien se passer », me dit-elle, alors que je regarde cette tache d’élixir bleu vif sur le morceau de pain que le petit mâchouille. J’observe comme elle brille, si légèrement, comme un clair de lune.
 
Le bébé éternue, et chacune des bougies de notre appartement s’embrase violemment.
 
Quelque chose est arrivé. De bon ou de mauvais, je ne sais pas. Je n’ai pas le temps de réfléchir avec ces coups sur notre porte d’entrée. Je m’appuie de tout mon poids contre elle. Wothis le Grincheux beugle de l’autre côté qu’il sait que c’était moi à l’origine de l’accident, et comment j’ai ruiné sa cargaison et effrayé son investisseur. On dit que les ondins jurent comme personne, mais les patrons des docks les surpassent, haut la main. Avec un verrou cassé, la porte ne va pas le retenir pour très longtemps. Je murmure à Tashi de se cacher dans le placard avec le bébé et à Soche de s’engouffrer dans son coin nuit et de se couvrir de couvertures. Quant à moi… il n’y a plus nulle part où se cacher dans notre taudis. Ce qui importe peu, de toute manière, puisque quand son gros sabot frappe la porte abîmée, les éclats volent, et je suis projeté dans les airs, ratterrissant sur le menton.
 
Il me faut un peu de temps pour que le brouillard à l’intérieur de ma tête se dissipe, mais dès que je le peux, je me mets hors de portée de Wothis, tentant d’extirper ces rubans de magie, essayant de me soustraire à sa vue, mais en vain. Il se tient à présent au-dessus de moi, les sourcils froncés, son regard aussi perçant que le bout de ses cornes. Des morceaux d’épaves sont accrochés sur lui, et il sent comme un mélange surprenant de rivière humide et de fourrure mouillée.
 
« Tu m’es redevable, Merret. » Il jette un coup d’œil rapide à ma demeure et s’esclaffe de son rire rauque, comme si l’idée que je puisse posséder un quelconque bien de valeur était une vaste blague. « Je te le retirerait bien de ta paie, mais il te faudrait trois vies entières pour me rembourser le prix de ce whisky. Puis je me suis dit que tu le paierais de ta peau, mais il semblerait que tu aies bien quelque chose de valeur, après tout. »
 
Mon cœur se contracte dans ma poitrine et ne lâche pas. Je regarde ses yeux se diriger vers la cuisine.
 
« Je ferai n’importe quoi », lui dis-je, tremblotant entre lui et l’armoire. « Dégager le port à chaque heure du jour. Doubler mes horaires de travail. Ma femme ! Ma femme va travailler, elle aussi. Nous vous paierons tout ce que nous vous devons, je vous le promets ».
 
« J’ai vu ce que cet enfant a fait à travers la fenêtre, le truc avec les bougies. » Son sabot frappe mon tibia et je me mords de douleur. Un autre coup de sabot, en plein dans les côtes, et je m’écroule à terre.
 
Puis il passe derrière moi, arrachant la porte de l’armoire. Tashi est à l’intérieur, gémissant, le bébé endormi contre sa poitrine. La vision de ma femme souffrante et de mon enfant en danger m’enrage, et me voilà à nouveau sur pieds. J’invoque la magie… avant, cela aurait été un calvaire, comme aspirer à travers une paille fêlée, mais à présent, elle me pénètre avec un flux aussi torrentiel que celui d’une rivière.
 
« Un enfant comme lui, ça peut rapporter », lance Wothis, essayant d’arracher le bébé des bras de sa mère. Elle montre les dents, mord et crie, et le petit se réveille et hurle à présent.
 
Le bout de mes doigts dance avec la lumière et les fils de l’esprit de mon supérieur s’ouvrent à moi. J’étire, je tends, tissant un cauchemar, fait spécialement pour lui, à partir de ses plus profondes peurs. Désormais, Wothis le Grincheux hurle à son tour, une note perçante et parfaitement lisse qui fait vibrer le verre de nos lampes à gaz. Il frappe les ennemis invisibles devant lui, leur lançant des pots et des poêles, faisant basculer les chaises. Il piétine dans tous les sens, sans faire attention où il va. Mes nerfs se crispent alors qu’il titube à côté de la pile de couvertures sous laquelle Soche est cachée. Ces sabots… ma concentration s’essouffle, juste un instant, mais juste assez pour que Wothis se débarrasse des hallucinations et se précipite vers mon fils.
 
En un instant, mon bébé se retrouve dans les bras de Wothis, le dos voûté, laissant échapper un cri glaçant qui me déchire de l’intérieur.
 
« Comme toujours, tu manques de concentration, Merret », fustige-t-il. « Mais nous sommes quittes dorénavant ».
 
« Rends-moi mon – »
 
Wothis le Grincheux lève sa jambe, et l’espace d’un instant, je suis ébahi par la contraction de tous ces muscles, puis son sabot s’abat droit dans ma bouche et j’explose de douleur. Je place mes mains en creux pour recueillir le sang, mais elles ne peuvent pas tout contenir. J’ai sans doute perdu connaissance quelques secondes, car Wothis se trouve déjà à ma porte, tentant de faire passer ses cornes dans l’ouverture tandis que le bébé se tord et que ma femme s’agrippe à la fourrure de ses hanches. D’une violente secousse, il l’envoie valser. Elle décolle et heurte le côté d’un buffet. Quelque chose craque. Mais ce n’est pas le vieux buffet en bois.
 
Je me concentre aussi fort que je peux, ignorant les cris de mon fils et les geignements de ma femme. Je tire la magie à moi, essayant de nouer un collet autour de l’épaisse nuque de mon patron, mais le flux s’est empâté. Quoiqu’il ressente, ce n’est guère plus qu’une égratignure à la gorge. Il tousse, puis se tourne vers moi. Il rit.
 
« On se voit aux docks demain, frais et – » Ses yeux s’écarquillent, son souffle se coupe. Je regarde mes doigts : aussi ternes que le ciel. Pas même un filet de magie ne remue autour de moi, mais l’esprit de Wothis a été touché, j’en suis sûr. J’entrevois une intensité dans les yeux de mon enfant. Mon fils se cambre à nouveau, lève les bras et, tout à coup, il n’est plus là. Disparu. Envolé.
 
« Qu’as-tu fait à mon bébé ? », hurle ma femme, agrippant ses côtes fêlées.
 
Ma courageuse Soche est sortie de sa cachette, et la voilà maintenant qui lance des cubes de bois à Wothis. Un d’entre eux le touche en plein milieu du front.
 
« Arrête ! Tu vas toucher le bébé ! », lancé-je, chancelant, alors que je tente de voir sous les linges du petit. Je le ressens dans les bras de mon supérieur, mais il n’y a rien. Je suis pris de panique. L’a-t-il laissé tomber ?
 
Wothis le Grincheux se met à tousser, inhalant de grosses quantités d’air pour retrouver son sang-froid. Ses yeux imbibés de sang se tournent vers moi. « Où est le bébé ? », dit-il, comme s’il m’accusait de sa disparition.
 
Je suis tellement hors de moi que, sans réfléchir, je décide de le frapper en pleine mâchoire. Ses naseaux se dilatent et ses yeux se relâchent comme si je venais de l’inviter à se battre pour de vrai. Mes poings sont levés, puis nous entamons le combat et j’essaie de le pousser vers l’extérieur. Il tente de repousser mon assaut, quand Tashi crie le nom du bébé. Nous nous arrêtons tous pour regarder.
 
L’enfant est assis au sol. Il a des égratignures sur le bras et tient un étrange fruit violet en forme d’étoile dans la main. Je n’ai jamais rien vu de tel. Il le met dans sa bouche, la peau amère lui faisant plisser les lèvres. Il lâche le fruit et se met sur ses quatre pattes, prêt à ramper. Wothis essaie de forcer le passage, mais je le retiens de toutes mes forces. « Va voir maman », lui dis-je, « va voir maman ! »
 
Mais le nourrisson n’écoute pas. Son regard parcourt la pièce. Puis j’aperçois la masse sombre assise dans le fauteuil, près du foyer. On la voit tous. Lui. Et je me rends compte, au plus profond de mon esprit, qu’il est en réalité assis là depuis bien longtemps. Il est vêtu d’une cape de cuir provenant de la peau d’une bête dont l’espèce s’est éteinte il y a des âges de cela… il est majestueux, même sur ce trône qu’est notre fauteuil. Toute la magie de cette pièce, de cet immeuble, peut-être même du quartier entier, converge en sa direction, comme si une faille s’était subitement ouverte au milieu d’un lac tranquille. Je secoue la tête, essayant de me débarrasser de pensées improbables. Ce pourrait-il qu’il s’agisse de Lazav ? Lazav l’Érudit, Maître-guilde de la Maison Dimir ? Chacun de mes os endoloris veut s’incliner en sa présence, bien que faire ceci serait la pire des indiscrétions.
 
Le bébé se hisse une fois encore, et le voilà soudainement debout… chancelant d’avant en arrière, avant de faire ses premiers et timides pas. Il sourit un instant, fier de lui, puis fait un pas de plus, puis un autre, jusqu’à ce que l’inertie l’emporte jusque dans les bras de Lazav. Lazav soulève le nourrisson jusque sur ses cuisses.
 
« Toutes les sommes dues par Merret vous seront intégralement versées d’ici la fin de la journée de demain », déclare Lazav à mon supérieur. « En retour, vous vous abstiendrez de tout contact avec n’importe lequel des membres de cette famille. Nous sommes bien d’accord, M. Wothis ? »
 
« Diable, pour qui vous prenez-vous ? », rétorque Wothis, expirant de tout son souffle, la tête penchée en avant, les cornes prêtes pour le combat.
 
« Pour personne », dit Lazav, sa voix pareille à un murmure sacré, mais guère douce pour autant. D’un mouvement de sa main, la pièce entière se met à tournoyer, des sortilèges libérant des lumières argentées en cercles autour de notre habitation. Je m’accroche au sol, avec l’impression que le poids du monde pèse sur mes poumons. La rotation s’accélère, et accélère – les meubles vacillent, les murs tremblent, les fenêtres se tordent au point de se briser. Puis tout s’arrête brusquement.
 
Pendant un long moment, il règne un silence absolu, jusqu’à ce que Wothis le Grincheux ne marmonne : « Très bien. Ça me va. Peu importe. », et se traîne, étourdi, hors de l’appartement, menaçant de basculer par-dessus la rambarde du balcon.
 
« Bien. », conclut Lazav, qui me sourit à présent, alors que mon fils mâchonne un de ses doigts. « Ce petit va nous étonner tout autant que tu nous as su nous décevoir. »
 
« Vous n’aurez pas mon fils », retorqué-je, respectueusement et fermement à la fois.
 
« Nous ne voulons pas de ton fils. Tout du moins, pas de cette manière. Il restera avec vous. Vous l’élèverez comme bon vous semble. Mais en contrepartie du paiement de vos dettes, nous souhaiterions vous envoyer un tuteur qui supervise son apprentissage. Assurément, nous vous gratifierons d’une modeste soulte afin que vous subveniez convenablement à ses besoins. Et aux vôtres. »
 
Ma mâchoire s’était décrochée. Je retrouve Tashi, la tirant délicatement à moi. J’essaie de la soulager un peu de sa douleur, puis nous nous fixons l’un l’autre, abasourdis, chacun tentant de trouver les bonnes questions.
 
« Est-ce que mon frère est spécial ? », interroge Soche, par un pépiement plein de terreur.
 
Lazav émet un rire râpeux, semblable à des pierres raclant contre des ossements. Quelque chose dans mon cerveau se tord de part et d’autre, mon esprit s’embrume, et d’un coup d’un seul, nous voilà tous à rire, Grand-Tante Bea assise dans le fauteuil, berçant le bébé sur ses genoux. Soche joue une mélodie sur son xylophone et Tashi se trouve dans la cuisine, en train de découper un étrange fruit violet en forme d’étoile qu’elle a dû trouver sur le marché. Je me dirige à ses côtés et elle me sourit, puis dépose un morceau de pulpe sucrée sur ma langue. Alors que je mâche, ma mâchoire me lance, comme si on m’avait frappé au visage.
 
« Tu es sûr que ça ne te dérange pas qu’elle reste un peu avec nous ? », me demande-t-elle. « Juste le temps qu’elle se remette sur pieds ? Elle ne nous embêtera pas, et elle pourra garder un œil sur le bébé pendant que je travaillerai. »
 
« Bien sûr, ça me va. Je l’aime bien. », lui dis-je. « Elle a ce quelque chose, tu sais ? Cette sagesse qui vient avec l’âge. Je pense qu’elle sera bénéfique pour notre famille. »

*
* *


 

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Envoyé par Superarcanis le Lundi 15 Octobre 2018 à 08:09


C'est très sympa. Pour moi, c'est une purge de lire un texte en anglais. Je vais suivre ça si tu continues.

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SirMalo

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Envoyé par SirMalo le Lundi 15 Octobre 2018 à 11:47


Merci pour le retour

Je vais faire de mon mieux pour sortir les traductions le plus rapidement possible.

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Envoyé par Superarcanis le Lundi 15 Octobre 2018 à 18:30


En tout cas j'ai lu ce que tu as écrit tout à l'heure, et c'est vraiment bien traduit.

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Envoyé par ff26 le Lundi 15 Octobre 2018 à 19:22


Merci infiniment SirMalo, je suis une quiche en anglais, et ta traduction m'a permis de lire un beau passage. Merci et continue !

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Envoyé par SirMalo le Lundi 15 Octobre 2018 à 19:31


Merci à vous deux

J'espère que le style n'est pas trop étrange, les anglo-saxons utilisent une manière de raconter les histoires un peu différente de la nôtre, avec des tournures de phrases souvent plus concises, beaucoup plus de mode passif et des temps moins utilisés chez nous pour ça (le présent en l'occurrence). 
En tous cas, j'essaie de rester le plus fidèle à l'esprit du texte, quitte à modifier quelques minuscules éléments çà et là pour que ça paraisse plus "français". 

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Envoyé par SirMateo le Lundi 15 Octobre 2018 à 23:29


Super ! Un grand merci à toi SirMalo pour ton initiative ! Je vais pouvoir me remettre dedans


SirMalo

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Envoyé par SirMalo le Lundi 22 Octobre 2018 à 17:03


La prochaine traduction devrait arriver ce soir ou demain, le texte est plus long que la semaine dernière et j'ai moins de temps libre au stage ces derniers jours. 

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SirMalo

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Envoyé par SirMalo le Mardi 23 Octobre 2018 à 10:26


Vous l'attendiez tous, la deuxième histoire des Guildes de Ravnica ! Cette fois-ci, nous suivons Leighbet, une chimiste de la Ligue Izzet en quête de découvertes et d'expérimentations. Au passage, j'aurais appris le mot "fatberg".

Je n'ai pas eu le temps de faire une relecture minutieuse, le texte contenant plus de 2000 mots supplémentaires par rapport à celui de la semaine dernière, ce qui a considérablement allongé mon temps de travail. J'ai également essayé de me détacher un peu plus de la traduction littérale pour que les phrases aient une structure plus française, même si à mon goût, ce n'est pas encore ça... N'hésitez pas à me dire si des formulations vous paraissent étranges ou si vous relevez des fautes d'orthographe. Sur 7 510 mots, j'ai dû en laisser traîner une ou deux

Sur ce, bonne lecture !

https://magic.wizards.com/en/articles/archive/magic-story/testing-dark-waters-2018-10-17
 
 

Expérimentations en eaux sombres


 
Tous les savants fous ne sont pas nés dans la richesse. Certains d’entre nous doivent l’accumuler, et parfois pas de la plus belle des manières. Alors que j’avance à travers les égouts qui s’étendent sous la dixième circonscription, de la boue jusqu’aux genoux, j’ignore les morceaux de détritus qui cognent contre le sortilège de repousse qui recouvre mon uniforme. À la place, je me concentre sur la somptueuse expansion de la Citerraine – les dômes envoûtants, les majestueuses colonnes, ainsi qu’une incrustation en arche ornementée de reliefs représentant la signature du Pacte des Guildes. Voilà une beauté dangereuse, et sans ces gaz nocifs ni ce demi-million de litres d’urine et d’excréments liquéfiés s’y écoulant constamment, je dirais d’elle qu’elle est charmante.
 
« J’ai bien peur qu’on n’ait pas le temps de s’émerveiller », me beugle Kel’teth, et je remarque que mon guide Golgari m’a distancée de plusieurs pas. Il est le troll le plus décontracté que j’aie pu rencontrer, sans doute en raison des plaques de champignons multicolores qui poussent sous ses aisselles et qu’il grignote sans arrêt. Ses yeux à la fois calmes et alertes, il me presse d’avancer.
 
Un rat nage dans la bourbe à proximité. Un cri me monte à la gorge, mais je le ravale, ne souhaitant pas que Kel’teth ne se dise que je ne suis pas faite pour cette tâche. Un rat, c’est presque pareil qu’une souris de laboratoire, n’est-ce pas ? Sauf que les souris de laboratoire n’ont pas ce genre de crocs couverts de bave. Ni ce genre d’yeux menaçants. Ni ce genre de couinement fascinant. Je me retrouve submergée par une envie de le caresser, avec son petit museau poilu. Je tends la main, un peu plus près…
 
Un morceau de ciment piqué me passe sous le nez et touche le rat en plein milieu de la tête en faisant splash. Il couine une dernière fois, puis s’enfonce vers un néant de saletés. Je repousse mes pensées dévorantes. Qu’est-ce que –
 
« Les sirènes des égouts », me dit Kel’teth en se frottant les mains. « Enragés comme tous les autres, mais ils ne peuvent vous attaquer que si vous leur mettez la main dans la bouche. Mieux vaut les éviter. »
 
« Vous savez, c’est le genre d’information qu’il aurait été utile de connaître avant que je ne commence ma mission », dis-je, essuyant les éclaboussures d’immondice sur mes lèvres.
 
Kel’teth s’esclaffe. « Si j’avais commencé à vous avertir à propos de chaque petite chose qui pourrait vous tuer dans les égouts, nous ne serions assurément pas en train d’avoir cette conversation à l’heure qu’il est. »
 
Je me rapproche de mon guide tandis qu’il m’expose les huit différentes variétés de plantes aquatiques dévoreuses de chairs que l’on trouve ici-bas et me donne des conseils sur comment éviter de se faire électrocuter par les anguilles. Alors que nous continuons, je remarque des ombres nous épiant dans les coins humides, derrière les piliers, sous les ponts, et me dis que le savoir n’est peut-être forcément pas source de pouvoir. Je laisse de côté les explications de Kel’teth et commence à me concentrer sur l’équipement que ce travail secondaire va me rapporter : un ballast à induction d’arcane rien qu’à moi. Un de ceux en mizzium solidifié, avec la cloche de retenue dyna-chromatique et le réservoir de conversion instantanée à double inversion. De la véritable ingénierie Izzet, pas comme celle que j’ai empruntée et que je me traîne. Je pourrai accomplir des missions d’analystes comme celle-là trois fois plus rapidement, détectant et identifiant les traces de mana avec aisance, ce qui me laissera encore plus de temps à passer au labo.
 
Nous nous engouffrons à travers une série d’arches outrepassées, traversons une rotonde couverte de mousse, et atteignons finalement notre destination. Il est énorme, presqu’aussi impressionnant que le portique à deux étages contre lequel il est coincé. C’est un gigantesque amoncèlement de graisses coagulées et de détritus, consolidés en une unique masse, obstruant le flot de la rivière. Un des nombreux fatbergs infestant les égouts de la dixième circonscription.
 
Kel’teth pince ses doigts, les place à hauteur de genou, puis me fait signe d’avancer. « Après vous ! »
 
« Attendez. Vous voulez vraiment que l’on monte sur cette chose ? » J’ajuste l’encombrant réservoir que j’ai sur le dos, tentant d’en répartir équitablement le poids.
 
« Eh bien, vous ne pourrez pas le voir correctement d’en bas. De plus, les anguilles ne tarderont pas à sortir de leurs repères. Elles n’ont pas pour habitude d’attaquer les gens, mais au réveil, elles électrifieraient n’importe quoi en quête de leur précieuse chitine. »
 
Il ne m’en faut pas plus pour me convaincre et je me hâte de grimper sur l’amas de déchets. On dirait surtout un gros rocher, même si l’on distingue quelques plaques huileuses, que des mottes d’un gel gras et suintant apparaissent par endroits, et que le tout est parsemé d’objets cassés et abandonnés débordant de la surface. L’embarcation entière tangue légèrement, me rendant nauséeuse ; même si en toute honnêteté, j’ai été à deux doigts de vomir depuis mon arrivée ici.
 
« Vous voyez… », me dit Kel’teth, « … normalement, on fait venir un ou deux drakôns pour vaporiser les fatbergs, mais ils sont devenus insensibles à la magie électrique. Celle-ci a été bombardée une douzaine de fois, et pas une égratignure. » Il tapote une saillie de graisse avec amour. « Impressionnant, n’est-ce pas ? »
 
« Magnifique, c’est ça. » Je suis prise d’un haut-le-cœur. Le sortilège anti-nauséeux s’affaiblit, c’est certain. Il ne faudra pas que cette inspection ne s’éternise. « Bon, je vais juste faire le tour et voir si je peux trouver une quelconque trace de qui cause tout ça. Ok ? »
 
« Prenez tout le temps qu’il vous faut », dit Kel’teth, s’installant sur l’amoncèlement. Il fourre un chapeau de champignon dans sa bouche, puis façonne un monticule de graisse pour en faire un oreiller. Un sourire relaxé s’étire sur son visage alors qu’il s’allonge les bras croisés derrière la tête.
 
Je dégaine le manche de mon ballast et tapote le réservoir en mizzium plaqué harnaché sur mon dos. Un vrombissement se lance ; ce sont les bruits de fond des émanations de mana dispersées dans l’air. Je saisis la hampe et balance les bobines de réception autour de moi, collectant les restes de mana jusqu’à ce que l’ampoule s’emplisse d’étincelles violacées. Les énergies s’évaporent, et le bourdonnement disparaît complètement. Je suis prête à commencer. Je pointe les bobines réceptrices de cuivre du ballast vers la surface du fatberg, balayant par des va-et-vient lents et réguliers. Le réservoir sonne de plus en plus aigu, un zip perçant indiquant la présence d’un artefact. Cela dit, des traces de fouilles sur l’amas graisseux prouvent qu’il ne s’y trouve plus depuis longtemps, sans doute dérobé par des récupérateurs Golgari.
 
Je continue à avancer. Il n’y a pas d’histoires de divisions de guildes dans les profondeurs des égouts. Tantôt je tombe sur masque de phacochère défoncé issu d’un quelconque festival Gruul, le pas d’après, je grimace à la vue d’un casque à cadran solaire d’un soldat Boros fissuré en deux. Je trouve finalement un nouvel emplacement sur lequel un artefact a autrefois reposé. Au vu des gémissements émis par mon ballast, je peux en déduire qu’il s’agit d’un banal artefact Rakdos, vraisemblablement l’effigie à moitié calcinée d’un amant infidèle ou bien d’un voisin peu scrupuleux qui aurait emprunté un tisonnier et aurait oublié de le rendre. Mais décidément pas quelque chose contenant assez de magie pour affecter un fatberg en entier.
 
Mais, d’un coup, le ballast se met à produire un étrange son grinçant qu’il n’avait jamais fait auparavant. Il devient de plus en plus fort à mesure que j’atteins le bout du monticule. Je jette un coup d’œil à Kel’teth, profondément endormi. Je devrais probablement le réveiller et lui demander de m’éclairer le chemin, mais la chose qui cause ce grésillement est puissante. Un arcane. Et pour lequel la Ligue d’Izzet n’avait pas configuré mon réservoir. Ce qui signifie soit qu’ils ne l’avaient pas encore découvert, soit qu’ils en avaient connaissance mais qu’ils voulaient le garder secret. Chacune des options est alléchante. Et tout autant lucrative.
 
Bon, je sais pourquoi j’ai été embauchée ; découvrir ce qui est à l’origine de ces fatbergs résistants à l’électricité et en faire un rapport aux Golgaris afin qu’ils s’en chargent, mais voilà : à côté de cette mission prise sur mon temps libre, je travaille en tant qu’intendante pour Maître Dax Foley, un chimiste de haut niveau spécialisé dans les arcanes métallurgiques et l’alchimie empirique. Je stagne au plus bas échelon au laboratoire, étant un des deux seuls humains parmi les dizaines d’assistants vedalkens, et je passe la plupart de mes journées à ordonner des connecteurs câblés, à dégraisser les turbines et à piéger ces voyous d’élémentaux qui siphonnent l’énergie de nos équipements. Et pourtant, je déborde d’idées, plus que ma tête ne peut en contenir, mais jusqu’à présent, il semblerait que je ne sois bonne à prendre du galon que lorsque quelqu’un part à la retraite ou meurt. Et vu la manière dont les autres intendants engloutissent des potions de rajeunissement à longueur de journée, aucun de ces deux cas de figure n’est près d’arriver avant un long, long moment. Si je veux me faire un nom, il faut donc que je prenne des risques.
 
Je m’avance dans les eaux des égouts, puis suis le grésillement le long de plusieurs tuyaux, tous plus étroits les uns que les autres. J’arrive dans un cul-de-sac, de l’eau s’engouffrant dans une vieille grille ornée d’anciens codes et solidement attachée par des écrous rouillés si anciens qu’ils n’ont sans doute pas été manipulés depuis l’éclosion de Niv-Mizzet. Toutefois, il n’est pas envisageable que je rebrousse chemin, pas si près du but. Je lève l’attache de sécurité de mon réservoir, et un reflux de mana brut emmagasiné s’échappe en tourbillonnant vers la grille. Le réservoir se vide, le vieux métal se mettant à chauffer au rouge, et, en s’étirant, faisant vibrer les boulons, qui finissent par se détacher et tomber dans l’eau.
 
Après trois coups secs, le grille se défait enfin. Je la décale sur le côté et m’introduis. La lumière scintillante encore emprisonnée dans l’ampoule projette des ombres dansantes sur les murs incurvés du tunnel. Leurs surfaces brillantes reflètent la lumière, mais il y a un endroit au loin qui reste noir comme du charbon, flottant au-dessus de la surface de l’eau. Des filons de magie virevoltent autour de moi, d’un rouge sinistre taché de blanc. C’est une faille spatiale.
 
Trop tardivement, je remarque que plusieurs anguilles sont tournées vers moi, serpentant à travers les étranges plantes qui poussent autour de la faille. Je me démène pour essayer de me rappeler ce que Kel’teth m’avait conseillé pour éviter les électrocutions… L’eau est trop peu profonde pour plonger et je ne trouve rien à quoi m’agripper pour m’extraire de là. Sans autre choix, je tends le ballast devant moi. Toute la surface de l’eau s’illumine. L’électricité circule jusque dans les récepteurs, mais ceux-ci sont faits pour siphonner les restes d’émanations de mana, pas pour encaisser des chocs électriques. L’énergie sillonne le long du manche, et l’ampoule explose en morceaux. Le réservoir se met à hurler à la mort, et je décide donc de le détacher et de le lancer aussi loin que je peux. Il touche l’eau et, une demi-seconde plus tard, une explosion de magie électrique remplit l’égout. Pendant un long moment, mon corps se fige et tout autour de moi devient blanc.
 
Je retrouve finalement mes esprits. Je regarde autour de moi, la nuque crispée et la peau fumante. La faille est intacte, de même que les plantes l’entourant. Comme si rien ne les avait touchées. Pas une feuille de brûlée. Pas un seul pétale égratigné. Le contact avec la faille a dû les immuniser contre la magie électrique. Cette même immunisation qui a dû se propager aux fatbergs avec le temps. Je prélève quelques échantillons de plantes, toute tremblante face à cette découverte. Plus jamais je ne serai cantonnée à stériliser des lunettes de protection ou à faire reluire les grilles des fourneaux.
 
Ce serait mentir que de dire que je n’avais pas ressenti la pression grandissante au sein de la Ligue d’Izzet ces derniers temps, bien que ne sachant pas d’où elle venait. Les Izmundi avaient réclamé que les découvertes soient plus significatives et les résultats plus rapides, à tel point que les chimistes en étaient arrivés au point d’expérimenter jour et nuit de peur de perdre leurs laboratoires. Eh bien, la voilà, leur découverte significative, et je bous d’impatience de retrouver Maître Dax, afin de lui demander la promotion de que je mérite. Et peu de temps après, ce sera moi qui lui donnerai des ordres.
 

____________________


 
Il s’avère que ce ne sont pas les idées les plus brillantes qui vous viennent à l’esprit quand vous venez de prendre l’équivalent de décharges d’une dizaine d’anguilles dans le cerveau. À lancer des ultimatums absurdes à son patron, trempée d’eau crasseuse, les cheveux crépus et blanchis sur les tempes, et traînant derrière soi du matériel de laboratoire cassé et illégalement emprunté valant aux alentours de 4 000 zinos… Eh bien on finit par se retrouver en bas des marches du Paratonnerre, une boîte remplie d’effets personnels dans les bras.
 
Je n’avais pas fermé les yeux lorsqu’ils avaient annulé mes sorts d’accès, détaché les amulettes à clés perpétuelles de mon cou et arraché mes gantelets. À présent, je n’étais plus qu’une étrangère, toutes les marques et références qui me séparaient des infiltrateurs Dimir venus voler nos inventions et des biomanciens Simic cherchant à s’accaparer nos chimistes pour leurs laboratoires, envolées. Maître Dax peut me prendre mon travail et me déchoir de mon titre, mais il ne peut pas m’enlever mes rêves.
 
J’ai donc lancé mon propre laboratoire, dans une fosse à chaudière située sous mon immeuble. L’air y est très moite, et cela empeste la rouille et l’ingéniosité. J’ai chiné la majorité des équipements dont j’avais besoin, érigeant une paire de bobines à mana de fortune à partir de plaques de mizzium frappé aussi fines que du papier. Elles tiennent le coup pour l’instant, projetant des arcs de lumière violette jusqu’au plafond. J’ai installé des pièges pour l’élémental d’électricité que j’ai entendu crépiter l’autre nuit. Bon, le labo n’est pas encore des plus agréables à regarder, mais il prend forme. Il me manque juste une dernière chose.
 
On frappe à la porte.
 
Dans cette boîte d’effets personnels, j’avais réussi à fourguer quelque chose au nez des gardes Izzet qui m’escortaient en dehors du bâtiment ; des souris de laboratoire. Mortes. Leurs petits corps poilus tachetés de résidus de magie expérimentale. En en prenant bien soin, elles ne restent souvent pas mortes bien longtemps, ce qui les rend prisées des récupérateurs Golgaris. J’avais ainsi troqué six souris bien mûres à un jeune récupérateur en échange de quoi il devait me trouver un chercheur de déflagrations qui accepterait d’expérimenter des créations magiques dans un laboratoire clandestin contre une somme d’argent non négligeable. Je n’en attendais pas trop, mais c’était toujours mieux que de risquer (à nouveau) de souffler toute une partie de quartier en essayant de le faire moi-même.
 
J’ouvre. Elle est encore moins que ce à quoi je m’attendais, peu costaude, pas même du genre à réussir à soulever un convertisseur spectral si sa vie en dépendait. Mais après avoir essuyé refus et refus, je sais qu’il ne faut pas s’arrêter aux apparences. Je souris. « C'est pour le poste de chercheur de déflagrations ? »
 
« Seulement si vous me payez », dit-elle, une lueur dans le regard. « Tamsyn Sweene. Appelez-moi Tammy et vous aurez affaire à moi. »
 
Elle n’y va pas par quatre chemins. Je l’apprécie déjà. « Tu as de l’expérience ? »
 
« J’ai travaillé pendant cinq ans au Creuset, comme chercheuse de déflagration. Après ça, deux ans à la Fonderie. »
 
« Des références ? »
 
« Aucune qui n’envisagerait ne serait-ce qu’une seconde de s’adresser à la cheffe d’un laboratoire clandestin. »
 
Elle marque un point. « Que dirais-tu d’une mise en situation ? Histoire de voir si nous sommes compatibles ? »
 
Nous travaillons pendant trois heures d’affilée, à installer tous les composants de mon expérimentation. Tamsyn est méticuleuse. Elle m’aide à hypercharger les bobines de mizzium, enclenchant la manivelle avec une ferveur pareille à celle des gobelins. Puis elle découpe mes spécimens de la faille avec une incroyable régularité. Je les dispose dans un récipient en vacuole pénétrante raréfiée peu profond, puis observe les filins de magie se séparer de la cellulose. Tamsyn m’aide même à renforcer les champs spectraux des orbes électriques que nous utiliserons pour administrer les décharges. Enfin, après avoir passé le sérum à la centrifugeuse et filtré les contaminants organiques, nous l’appliquons à la souris.
 
Nous attendons cinq minutes entières que le sérum fasse effet, puis Tamsyn soulève aisément le convertisseur spectral et forme un orbe d’électricité. Elle flotte dans les airs comme une boule d’éclairs couleur miel. La souris a l’air anxieux, avec ses yeux d’un rose pâle, puis Tamsyn laisse l’orbe s’ouvrir. Le rongeur s’enflamme comme un élémental, si fort que mes lunettes de protection se mettent à chauffer sur les extrémités. L’électricité déferle violemment dans cette petite créature, qui ne bronche pas d’une moustache. Elle est complètement insensible à l’électricité.
 
« Pas un seul bout de fourrure n’est égratigné. C’est incroyable ! Nous devons l’apporter à – » Je coupe court. On ne peut rien faire avec ces résultats. Personne ne va les prendre au sérieux, pas en l’absence d’essais sur des humanoïdes. Et je ne peux pas en mener sans autorisation de la commission.
 
« Quoi ? », demande-t-elle.
 
« Rien. » réponds-je, me mordant la lèvre. C’est la plus grande découverte de mon existence et je dois m’asseoir dessus. Je pourrais demander un agrément officiel, assurément, mais cela prendrait des mois. Les Golgaris découvriront la vérité bien avant cela, et tous mes rêves seront anéantis une fois de plus. Je soupir, puis vais euthanasier la souris afin de la disséquer ; ce n'est pas ma partie préférée du boulot, mais on s'y fait.
 
« J'ai compris », dit Tamsyn, se dressant devant moi. Elle applique un chiffon blanc sur le goulot d'une bouteille de vapeurs changepierre, la retourne, et étouffe le rongeur de manière experte et si rapidement qu'elle n'a même pas le temps de se rendre compte de ce qui s'est passé. Au vu de la manière dont elle se déplace, si à l'aise, on peut affirmer qu'elle a subi des tonnes d'expériences de laboratoire.
 
« Sans indiscrétion », lancé-je, hésitante, « pourquoi avoir fait le choix de venir travailler dans un laboratoire clandestin ? Avec autant de talent – »
 
« Ce talent a causé la mort de mon dernier chimiste. C'était un accident, mais la commission ne l'a pas vraiment vu comme ça. Ils m'ont retiré ce que j'avais de plus cher. » Tamsyn me montre la paume de ses mains. La décoloration causée par les pierres d'amplification incrustées dans les gantelets qu'elle a autrefois portés me remémorent un souvenir douloureux. Mon cœur se serre, mais je me ressaisis, devant laisser mes émotions en dehors de tout ça. Je n'ai pas de quoi la payer, pas même la misère que j'avais promise sur mon offre. Ce n'est pas le moment de compliquer les choses.
 
« Bon, merci d'être venue », dis-je. « Je te ferai connaître ma décision la semaine prochaine. J'ai encore quelques postulant à recevoir. »
 
« Sérieusement ? Après ce que je viens de faire ? »
 
« C'était impressionnant, je l'admets, mais ce ne serait pas juste que je – »
 
« J'ai besoin de ce travail, Leighbet. Je suis peut-être désespérée, mais tu l'es aussi. Et c'est pour ça que nous ferions une bonne équipe. Toi, tu as les idées, mais il te faut quelqu'un qui soit bon dans les détails et qui sache exploiter le système. Les agréments ne sont pas le seul moyen de faire autoriser ton laboratoire. Je connais des gens qui connaissent des gens. Je peux faire en sorte que ton laboratoire soit déclaré comme un Atelier de Niche Innovant. »
 
« Tu sais faire ça ? Comment ? »
 
« Engage-moi, et je te dirai. Il y a quelque chose de spécial, ici, et je vais en être. S'il te plaît, tu ne le regretteras pas. »
 
Oh, je sais bien que je le regretterai, mais on ne peut pas agiter un agrément de laboratoire devant une chimiste auto-proclamée et ne pas attendre d'elle qu'elle morde.
 
« Tu t'occuperas de moi, je m'occuperai de toi », dit Tamsyn. Tant que mon salaire est versé à temps, il n'y a pas de souci, n'est-ce pas ? »
 
« D'accord », réponds-je. La Ligue Izzet tient à ses supervisions et ses protocoles, mais les règles sont faites pour être brisées.
 

____________________


 
Tamsyn a fait des merveilles. Le Laboratoire de Dynamique des Méta-flux Élémentaires et de Fractalisation de Champs à Convecteurs fait maintenant partie des labos officiellement reconnus par les Izmundis. C'est un peu un nom à rallonge, mais Tamsyn m'a affirmé que plus on utilisait de qualificatifs, moins on viendrait fouiller ce qu'on le fait en réalité.
 
Mon incroyable chercheuse de déflagrations pénètre dans le laboratoire et me surprend à admirer les lieux. « J'ai deux trois trucs à te dire. Rien de grave », dit-elle. « Si jamais quelqu'un venait à frapper à la porte, à la recherche d'une certaine Maître Chimiste Becham, dis-leur qu'elle est partie à une conférence et qu'elle ne sera pas là pour la semaine. Et le nombre officiel d'assistants que nous avons est douze. Retiens bien leurs noms ainsi que les endroits où ils sont censés être partis. Chacun a droit à sa petite histoire personnelle pour les rendre plus crédibles. Pour finir, si on t'attrape et qu'on t'interroge, tu ne m'as jamais rencontrée. »
 
Je ris. « Tu as fait chanter un membre de la commission pour mettre tout ça au point, ou quoi ? » Elle ne rit pas en retour.
 
Je continue à rire, mais plus nerveusement. « Tu ne l'as pas fait, hein ? »
 
« Je pensais que tout ça, c'était du sérieux, pour toi, Leighbet. » Elle me dévisage. Je n'ose pas cligner un œil. « J'ai pris la liberté de placarder une annonce pour des cobayes. Ils sont tous dans la salle d'attente. »
 
« On a une salle d'attente ? » Je jette un œil dans le couloir et, effectivement, trois gobelins et deux humains sont là, assis sur des caisses en bois. Je leur lance un sourire du bout des lèvres et replonge dans le labo. « Tu as réussi à faire venir des gens ? Gratuitement ? »
 
« J'ai fait état d'une récompense de deux-cents zigs dans l'annonce. »
 
« Deux-cents zigs ? Chacun ? »
 
« Ça va marcher, Leighbet, et quand ça va marcher, l'argent ne sera plus un problème. »
 
Je hoche la tête, sans doute me rassurant-elle. Je quantifie et administre méticuleusement le sérum à chacun des cobayes, documentant chaque donnée. Un jour, des historiens voudront en savoir plus sur la découverte qui m'aura propulsée de simple assistante à maître chimiste.
 
Tamsyn et moi nous tenons coude à coude, attendant nerveusement que le sérum ne fasse effet. Je trépigne... si ça fonctionne... Non, quand ça fonctionnera, je foncerai à la commission pour leur faire une démonstration.
 
Tamsyn se place devant le premier cobaye. « Je vais vous envoyer une légère décharge. Merci de me dire si vous ressentez une quelconque sensation désagréable. » Aussi brusque qu'elle puisse être, elle est très douée pour mettre cobayes à l'aise. Même les traits sévères de son visage semblent s'adoucir.
 
La gobeline acquiesce – elle est assez mignonne avec son long nez crochu, ses yeux d'un jaune éclatant et ses anneaux de bronze à l'oreille gauche. Tamsyn s'empare du convertisseur spectral, place le cadran sur 1 et fait apparaître un orbe à peine plus gros qu'un bouton de chemise. Elle le place délicatement vers la gobeline, qui se met à trembler, sa peau verte étant passée au gris cendre. L'orbe touche son épaule, puis s'évanouit d'un seul coup.
 
« Avez-vous senti quelque chose ? », demande Tamsyn.
 
« Non ! » répond-elle, sautant presque de son siège. Elle se calme, l'air timide. « Désolée, c'est la première fois que je suis un cobaye. Je suis un peu nerveuse. »
 
« Tout va bien », répond Tamsyn avec une tape rassurante, tandis qu'elle passe le cadran sur 4. « Ok, je vais essayer une décharge un peu plus puissante. Encore une fois, faites-moi savoir si vous ressentez la moindre douleur ou quoi que ce soit. » L'orbe est cette fois-ci de la taille d'un œuf de drakôn et touche la gobeline à la poitrine. Rien.
 
« Une petite chatouille, peut-être ? », admet la gobeline.
 
« Très bien, celle-ci sera grosse. Vous êtes sûre de vouloir continuer ? »
 
La gobeline acquiesce à nouveau, plus confiante cette fois-ci. Tamsyn règle le convertisseur sur 8, et alors qu'un orbe énorme se forme devant notre cobaye, c'est moi qui me mets à trembler.
 
La décharge la touche à la tête, un déferlement qui l'aurait laissée pour inconsciente, mais elle se tient là, l'air béat. « J'ai senti quelque chose, comme une pichenette sur le front. »
 
« Ça faisait mal ? » demande Tamsyn, proposant à la gobeline un verre d'eau pour la calmer. Elle le boit rapidement, toujours tremblotante.
 
« Pas le moins du monde. C'est incroyable. C'est quoi, ce truc que vous nous avez donné ? Enfin, je sais que vous ne pouvez pas me le dire... J'essaie moi-même de devenir assistante. La compétition est rude, mais je ne baisse pas les bras ! »
 
« Je suis sûre que vous serez de l'autre côté des expérimentations dans très peu de temps », dit Tamsyn. « Maintenant, si vous voulez bien retourner vous assoir dans la salle d'attente, nous alors procéder aux tests sur les autres sujets puis nous procèderons au paiement ».
 
« Très bien ! » La gobeline s'en va, toute légère.
 
Les quatre autres tests se déroulent de la même manière, avec succès. Dans le doute, Tamsyn envoie cinq rapides décharges dans le buste du dernier cobaye, sans aucun effet. Tamsyn et moi nous regardons.
 
« Ça y est », dis-je. « On l'a fait ! »
 
« Oui ! »
 
« C'est parfait ! Seulement, les cobayes sont là... et attendent qu'on les paie. » Ce ne serait pas très réglo, mais je peux leur dire qu'il reste de la paperasse et que cela prendra quelques jours. Je me rapprocherai de plusieurs investisseurs, puis...
 
« Leighbet. » Tamsyn prononce mon nom comme si j'étais un enfant mal éduqué. « Imagine ce qui se passerait si nous les renvoyions dehors imprégnés de la magie de la faille. On remontrait jusqu'à nous, c'est sûr. Tu étais une analyste auparavant. Tu sais à quel point ils peuvent être sans relâche. Et ça nous mènerait où ? »
 
« Mais que pouvons-nous faire ? Les mettre tous en quarantaine ? Et pour combien de temps ? » Si la Ligue prend connaissance de la source de la magie de la faille, tout mon profit s'évaporera. Je pourrais dire adieu à mes perspectives de carrière. Puis, lentement, je devine ce que Tamsyn essaie tant bien que mal de ne pas me dire. Ça reste mon projet. Je suis en charge. Si un ordre de ce genre doit venir de quelqu'un, c'est de moi. « Il n'y a qu'une seule façon de s'assurer que ces découvertes ne s'échappent pas », dis-je.
 
Tamsyn acquiesce.
 
Je repense aux souris de laboratoire que j'ai tuées toutes ces années. Des centaines. Des milliers. Au début, c'était dur. Je me sentais affreusement mal, mais je suppose que c'est devenu une sorte de routine à un moment. On ne parle cependant pas de souris, là, mais bien de personnes. Cinq âmes, se tenant entre moi et la grandeur. Si je fais ça, je franchis la ligne, il n'y a pas de retour possible. Mon cerveau me murmure toutes ces horribles pensées, et je les écoute, elles m'entraînent, et je finis par les accepter... ces petites étapes ont rendu le saut vers le mal plus accessible. Il faudra qu'on s'y mette à deux pour les maintenir pendant que nous maintiendrons les chiffons sur leurs bouches. Je saisis la bouteille de vapeurs de changepierre. Quatre doses par cobaye devraient suffire. Puis je me rappelle la lueur dans les yeux de la gobeline bavarde, avec ses rêves et ses aspirations... « Tamsyn, je suis désolée, je ne sais pas si je peux le faire. »
 
Elle semble déçue, mais pas surprise. « Ne t'en fais pas. Tu n'as pas à le faire. Je leur ai déjà administré une dose hyper-concentrée d'élixir de sommeil, couplée à un accélérateur de mort éthérique. » Tamsyn empile méticuleusement les cinq récipients vide et les jette dans la poubelle. « Ils s'en sont allés calmement, paisiblement. Ce n'est pas comme si nous étions de parfaits monstres. »
 
Je n'étais absolument pas prête, vu la froideur de mon cœur, dans l'étouffante et moite chaleur des fosses à chaudières.
 

____________________


 
Je ne sais pas trop dans quoi je me suis embarquée, mais je sais que je dois m'en défaire. Il me faut juste deux mille zigs pour payer Tamsyn, puis je fermerai le labo, demanderai à un mage de l'esprit de m'effacer la mémoire, et je continuerai avec ma vie. Mes options sont limitées, et je n'ai pas beaucoup de temps, mais il y a un moyen pour se faire de l'argent dans l'urgence. Je parcours les offres pour travailler comme cobaye au Creuset, à la recherche des plus importantes gratifications. Je postule à toutes celles que je peux, et prie pour le meilleur. Les deux premières se déroulent sans encombre – la vingtaine d'injections péridurales m'ont à peine fait souffrir, et cette petite explosion quand j'ai assemblée mes magies de feu et d'eau... Je n'avais pas vraiment besoin de cils de toute façon.
 
À la troisième expérience, je me retrouve à randonner au cœur du Cartel de Simic. Dire que j'émettais des réserves serait un euphémisme. Repousser les limites de la science élémentaire est une chose, mais toucher à la bioingénierie me laisse perplexe. C'est dangereux. Contre-nature. Mais les biomanciens Simic paient les cobayes trois fois plus que les chimistes d'Izzet, et je me réconforte en imaginant les sept-cents zigs qui tinteraient bientôt dans ma poche.
 
Leurs laboratoires me donnent des frissons, avec leurs grandes cuves remplies de liquides bleu-vert, et contenant des silhouettes de choses avec plus de bras et de jambes que ce qu'il ne devrait être permis d'avoir. La masse de paperasse qu'ils m'ont faite remplir est colossale : un historique médical complet, un profil psychiatrique, et une décharge de responsabilité devant indiquer les informations pour contacter mon chamane en cas d'urgence ainsi qu'une description de mes volontés funéraires, au cas où le pire se produirait. Je me trouve à l'avant-dernière page du dernier questionnaire quand je tombe sur un obstacle :
 

Avez-vous été exposé à une quelconque hélice de régénération ou à des enchantement irradiés ces sept derniers jours ?


 
Ma main tremble, mais je coche “non”, bien qu'ayant eu une dose de chaque durant mes expériences de la matinée. Je ne peux pas me permettre de laisser passer celle-là. Ils m'administrent le test, m'accrochant une demi-douzaine de tubes et de tuyaux et me délivrant leur potion mystique dans les veines. Je me sens immédiatement étourdie.
 
« Tout va bien ? Vous voulez qu'on continue ? », me demande le biomancien en chef. C'est un humain, mais des écailles reptiliennes scintillent tout le long de sa peau. Ses yeux sans paupière sont aussi noirs que l'était la faille spatiale, et je redoute d'y chuter.
 
Je me ressaisis et fait un oui de la tête. Chacun de mes bras se met à me démanger alors que la magie Simic se met à me transformer de l'intérieur. Les fourmillements se propagent jusque dans mes os et, sans même m'en apercevoir, mes dents se mettent à se mélanger, devenant pointues et tranchantes comme des crocs. Ma colonne vertébrale se tord, grandissant, chacune de mes vertèbres s'allongeant en pointe, et le marron chaud de ma peau se change en un gris cendré, rugueuse comme du vieux cuir. Je regarde mes mains tandis que des griffes d'un bleu argenté sortent de mes doigts.
 
« Quelque chose cloche, là », dit le biomancien. « Vous êtes sûre que vous n'avez pas été exposée à des hélices de régénération récemment ? »
 
J'essaie de lui répondre, pour avouer que c'est peut-être bien le cas, mais il y a tellement de salive qui dégouline de ma bouche que je n'y arrive pas.
 
Désorientée et terrifiée, j'arrache les tubes fixés à mes bras. Le biomancien tente de me maîtriser, mais j'assène un coup de griffe à travers sa blouse et sa chair écailleuse, puis m'enfuis aussi vite que je le peux. Je me précipite dans le corridor, des centaines de visages boursouflés me dévisageant depuis leurs cuves de croissances. Le couloir s'ouvre sur un atrium dont le bassin de réflexion projette une lumière chatoyante tout autour. J'ai l'impression de couler. Je me démène jusqu'à la sortie, luttant pour respirer alors que l'air me frappe le visage, mais sans m'arrêter de courir. Il n'y a qu'un seul endroit pour un pauvre monstre comme moi. Les égouts.
 

____________________


 
Je me recroqueville dans les noires ombres d'un pilier de pont, à moitié submergée, à moitié ravagée. Je suis si hideuse que même les sirènes des égouts ne m'approchent pas. Je pense que c'est la fin, que ma vie ne pourrait pas devenir pire, mais voilà Tamsyn qui apparaît de derrière le pilier, le convertisseur spectral émettant un orbe qui illumine les égouts. Les ombres se dissipent, et je suis découverte.
 
« Leighbet », dit Tamsyn.
 
« Tamsyn », réponds-je. Je suis encore un peu à court d'argent en ce moment, mais si tu me laisses un peu plus de temps, je peux – »
 
« Tu sais que je ne suis pas venu pour l'argent. »
 
Oui, c'est bien ce qui me semblait. « Quand tu m'as parlé du chimiste que tu avais tué accidentellement... Tu mentais n'est-ce pas ? »
 
« Tu m'as eue. »
 
« Tu l'as tué délibérément ? »
 
« Il n'y a jamais eu de chimiste, Leighbet. Je n'ai jamais été chercheuse de déflagration. » Quelque chose ondule sous sa peau, et ce sentiment que j'avais, à propos du fait qu'elle se meuve aussi facilement sous son propre corps, tous ces sondages de mon esprit. « Et je n'ai jamais travaillé au Creuset ni à la Fonderie. Il y a bien trop de mesures de sécurité. Mais les petits labos comme les tiens sont faciles à infiltrer, et avec de la chance, on peut tomber sur un génie en pleine ascension... »
 
« Tu penses vraiment que je suis un génie ? », dis-je. Je chasse ce gonflement d'égo et me concentre sur ce qui importe vraiment. « Tu es une changeforme ? » Puis tout s'éclaire. « Une espionne Dimir. »
 
« Dans le mille. » répond Tamsyn. Sa peau ondule à nouveau. « Enfin, quasiment. »
 
Mince. Et elle se débrouillait bien au labo. Elle s'y connaissait vraiment. Je prends une profonde respiration. « Quand tu dis “génie”, c'est au sens propre du terme, ou – ». Mais avant que je ne puisse avoir la moindre clarification, j'aperçois quelque chose s'approchant de nous à toute vitesse – ses ailes claquent comme des voiles mordues par les vents tempétueux, ses yeux jaunes brûlant comme le feu. Un drakôn à arcs, envoyé ici pour détruire les fatbergs, vole droit sur nous. L'électricité craque quand il respire, et je le vois prendre une grande inhalation. « Un drakôn ! », crié-je.
 
« Tu crois vraiment que je vais me faire avoir comme ça ? », dit Tamsyn. L'électricité contenue dans le convertisseur pointé sur moi émet un son profond et menaçant.
 
Je n'ai pas le temps d'avoir peur. Mon esprit fait le tour des règles de sécurité que mon guide m'avait brièvement enseignées : si tu peux grimper, tu peux t'en tirer. Si tu es dans l'eau, plonge aussitôt. Je m'immerge profondément et retiens ma respiration, priant pour le meilleur.
 
L'électricité est imprévisible, aveugle, et faite pour tuer. Elle serpente dans les eaux boueuses, jusqu'à moi. Mon corps entier se contracte si fort que j'ai l'impression de me déchirer en deux. Quand elle se disperse enfin, je suis prise d'une soif si intense que je dois lutter pour ne pas engloutir des gorgées entières d'eau croupie. Mon cœur est intact, mon cerveau quasiment, mais je ne prends pas cette chance pour un quelconque répit. Je suis frappée à nouveau, mais cette fois-ci dans le ventre et par un poing. Mes poumons expulsent le peu d'air que j'arrive à emmagasiner alors que “Tamsyn” se rue sur moi. Des bulles s'échappent vers la surface et je tente de faire de même, mais elle s'accroche à moi, me tirant vers le bas. J'atteins la surface à coups de griffes et de crocs, mais elle me donne un coup de boule dans le menton, et tandis que j'essaie de recouvrer mes esprits, elle invoque un nouvel orbe.
 
« Quel gâchis de sacrifier un esprit comme le tien, mais ton sérum est une découverte Dimir dorénavant. Au revoir, Leighbet. »
 
Je ne sais pas pourquoi, mais l'idée de perdre la paternité de ma découverte m'effraie plus que celle de perdre la vie. Je baisse les yeux vers mes griffes – aiguisées, intimidantes. Je ne suis pas une guerrière, et jusqu'à présent, je n'avais jamais été de nature sauvage, mais je n'allais pas abandonner sans me battre. J'invective Tamsyn, puis lui saute au visage. Elle esquive, et m'envoie un orbe en plein dans le ventre. Je me plie de douleur, prise d'une profonde crampe me troublant la vision. Je me reprends, et tente un nouvel essai. Mes griffes atteignent la peau cette fois-ci, mais à peine, traçant une ligne de sang d'un vert pâle. Presqu'instantanément, la plaie se referme d'elle-même. Elle règle le convertisseur deux crans au-dessus de la limite, et produit un orbe gigantesque qu'elle déplace lentement vers moi.
 
Ça ne fonctionne pas. Je suis une penseuse, pas une guerrière. Si je veux la battre, ce sera avec mon cerveau. Je recule à son approche, mais quelque chose couine alors derrière moi – un fatberg bloque complètement mon chemin. Je n'ai pas d'autre choix : je me tourne, enfonce une griffe sur le haut du bloc et me hisse à sa surface. Je suis complètement à découvert, mais je suis plus rapide là-haut, et je peux esquiver ses attaques.
 
Tamsyn tente d'escalader le fatberg à son tour, mais je balance d'avant en arrière pour rendre la chose plus difficile. Elle glisse et chute dans l'eau. Je cherche à me jeter sur elle, mais je trébuche sur une vieille jarre à souder. Elle est lourde et faite d'un verre épais. J'observe les alentours, surprise que les récupérateurs n'aient pas encore fouillé ce fatberg. Au milieu des débris et détritus habituels, j'aperçois plusieurs objets qui pourraient s'avérer utiles avec un peu d'ingéniosité et d'huile de coude. Je regarde de nouveau la jarre à souder. Il ne contient que quelques restes de soude, mais la jarre elle-même pour servir d'ampoule de conservation. Si je trouve suffisamment de pièces, je peux fabriquer un ballast de fortune pour absorber les décharges des orbes de Tamsyn.
 
Sa tête apparaît, et elle projette un orbe vers moi. Il m'écorche la jambe, qui se rigidifie et me fait tant souffrir que je peine à rester debout. Je soulève la jarre comme si j'allais la lancer sur elle, ce qui la fait reculer. Je n'ai pas beaucoup de temps. Elle ne se fera pas avoir deux fois.
 
Je tombe sur un vieux trident enfoncé dans l'amoncèlement. Les joyaux incrustés dans le manche ont déjà été arrachés, mais je peux toujours ressentir les crépitements de magie qui le parcourent. Cela ferait une excellente baguette pour mon ballast. Deux bobines à mana endommagées pourraient faire l’affaire comme récepteurs. Je ne pense pas que quiconque ait déjà tenté de faire ça, mais je dois faire avec ce que j’ai sous la main. Comme la soudure est vieille, je lui donne un petit coup de neuf avec une étincelle de magie de façonnage. Enfin, elle se met à bouger, jointant l’ampoule au trident, et alors que la pièce finale se fraye tout juste un chemin jusqu’au bobines, je lève les yeux et remarque que Tamsyn a réussi à monter sur le fatberg. Je brandis mon ballast pour le combat, mais il est loin d’être prêt.
 
Je le pointe au-dessus de son épaule, et mes yeux s’écarquillent. « Encore ?! »
 
Je me jette à plat ventre, comme lors de ces exercices que l’on fait, enfant, pour apprendre à minimiser les risques de se faire frapper par la foudre quand un drakôn à arcs se fait la malle. Tamsyn regarde par-dessus son épaule, louchant vers l’obscurité, et je bondis pour saisir à la fois mon ballast et ma chance, puis pousse sur mes appuis pour me jeter à corps perdu et asséner un coup de jarre à souder dans sa mâchoire. Elle vrille, une fois, puis deux, et atterrit tête bêche dans l’eau boueuse. Joli coup. Il aurait mis K.O. un humain, mais pour ce qui est d’un changeforme, j’en suis moins sûre.
 
Un ballast à proprement parler disposerait d’un réservoir pour emmagasiner la charge, mais je n’ai aucun moyen de bidouiller quelque chose d’aussi compliqué. Mais si le théorème de Warwitt-Isley sur les gains et pertes micro-fracturaux s’avère vrai autrement que dans des circonstances idéales, je pourrais avoir une chance de trouver quelque chose qui puisse rediriger l’énergie. J’aperçois un morceau de déchet qui pourrait fonctionner, à moitié enterré dans un tas de gel graisseux. Je me place devant et l’extrais. C’est le bouchon d’un vieux réservoir de chaudière. Il est tout rouillé sur la surface, et l’intérieur est recouvert d’une couche de mizzium si fine que l’enlever ne demanderait aucun effort. Toutes ces années à récurer des fourneaux n’auront pas été vaines, car en l’espace d’un instant, le mizzium scintille, offrant une belle surface concave sur laquelle les flux de magie pourront circuler.
 
Tamsyn me prend au dépourvu, déboulant de l’autre côté du fatberg. Je n’ai pas le temps de fixer le bouchon, je me contenterai de le maintenir en l’air. Je pare le prochain orbe avec mon ballast de fortune. L’électricité s’engouffre dans les récepteurs, remonte le long du manche, puis s’accumule dans la cavité du bouchon. Pendant un court instant, Tamsyn et moi restons là, impressionnées que cela ait marché, mais la voilà fonçant sur moi, les bras tendus, un autre orbe prêt à être tiré. Avant que ma charge n’ait le temps de se dissiper, je la projette sur elle, et un souffle déferle, la frappant en plein corps.
 
Son corps entier s’illumine. L’impact l’envoie valser dans une direction, tandis que le réservoir s’envole dans l’autre. Je chasse les images de Tamsyn calcinée imprégnées dans ma rétine, puis vois ma véritable ennemie rassembler toutes ses forces pour se lever. Avant qu’elle n’y parvienne, je lui assène un coup de genou dans le dos et lui agrippe le visage. Le monstre à l’intérieur de moi crie vengeance, mais je baisse les yeux et remarque que ma peau est à nouveau lisse, que mes ongles sont à nouveau ronds, et je me rends compte que les affreux effets de l’expérience ont disparu. Je suis redevenue comme j’étais avant… même si je me sens toujours changée, et je suis sûre que c’est à cause de la magie Simic.
 
« C’est ma découverte », lui sifflé-je. « Je ne peux pas la laisser dans les mains des Dimir. »
 
« Je n’en dirai rien à personne, je le jure », concède-t-elle.
 
« Je sais que tu ne le feras pas, Tamsyn », lui dis-je, et me voilà comme la foudre : imprévisible, puissante, sans pitié ; toutes ces choses qui la rendent si belle et mortelle à la fois. Comme avec les souris, le choix de tuer est plus facile cette fois-ci, et alors que les vertèbres de Tamsyn se brisent, je suis rassurée de savoir qu’elle ne souffrira pas trop longtemps. Je recule et observe son corps tandis que le sortilège qui lui donnait sa forme humaine s’évapore. Il repose ici, en véritable trésor pour les récupérateurs qui tomberont éventuellement dessus. Je rassemble ce qu’il reste de mon ballast improvisé pour le ramener au labo. Avec un peu de bricolage, ce seront deux découvertes que je pourrai présenter à la commission, et s’ils ne les acceptent pas…
 
Le monstre en moi glisse sous ma peau. Ensemble, nous formerons une bonne équipe.
 

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Envoyé par Superarcanis le Mardi 23 Octobre 2018 à 23:06


Encore merci !

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Keren

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Envoyé par Keren le Mercredi 24 Octobre 2018 à 11:08


Bravo et merci !
et je bondis pour saisir à la fois mon ballast et ma chance

et sympa les figures de style, c'est agréable à lire ainsi 


SirMalo

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Envoyé par SirMalo le Mercredi 24 Octobre 2018 à 18:41


Merci à vous !

Pour le zeugma, j'en suis friand moi aussi, mais sans vouloir m'accaparer tous les mérites, c'était déjà rédigé comme ça en version anglaise 

Cela dit, j'ai pris le temps de faire quelques comparaisons entre les textes originaux et les traductions d'anciennes stories, et elles n'hésitent pas à se détacher légèrement plus de la lettre pour que les phrases soient plus logiques et agréables à lire ; ce que je vais essayer de faire un peu plus sur l'histoire du jour, qui vient tout juste de sortir.

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Envoyé par dji-m le Samedi 27 Octobre 2018 à 21:36


Merci beaucoup et bravo. J'espère que tu vas continuer.


SirMalo

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Envoyé par SirMalo le Samedi 27 Octobre 2018 à 22:04


La troisième traduction est en chemin, j'espère la finir au plus vite, mais ce sera sans doute en début de semaine prochaine. D'ailleurs, je pensais en faire une version pdf, sans doute plus agréable à lire que sur le forum : qu'en diriez-vous ?

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Envoyé par dji-m le Lundi 29 Octobre 2018 à 01:07


Bonne idée ! T'assures. En effet lire autant de texte sur le forum c'est juste pas possible pour moi.

Pour les premières, j'ai copié collé sur une page blanche et j'ai lu en suivant l'article vo pour profiter des illustrations.

Merci encore, j'achète toutes mes cartes en vo, mais la lecture d'un long texte en anglais = allergie. Je veux pas débattre ici, mais j'ai trouvé abusé l'arrêt des trad. Manque de respect total pour la poignée de joueurs français qui les suivait. C'est le seul lore de jcc qui n'est pas indigent (mon avis) tous les clients du jeu devraient y avoir accès dans leur langue maternelle.


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