Borislehachoir  Hors Ligne Membre Passif depuis le 04/04/2024
Grade : [Nomade]  Inscrit le 23/04/2004 7421 Messages/ 0 Contributions/ 0 Pts | Envoyé par Borislehachoir le Jeudi 27 Octobre 2011 à 23:43
La vie de Boris numéro 18 ter : Ma vie sociale
- Je me casse.
Ca faisait environ un mois que tous les matins, Wollowitz me disait " demain, je me casse ". Visiblement, nous sommes aujourd'hui demain.
- Ah.
J'ai dit ça comme j'aurais pu ne rien dire, mais avec une pointe d'accusation en plus.
- Me dit pas que t'en as pas plein le cul.
- Je ne le dis pas.
- Me dit pas que t'as pas envie de te tailler aussi.
- Je ne le dis pas.
- Bon ben alors, pourquoi tu te casses pas avec moi ?
Parce que j'ai payé des frais d'inscription. Parce que j'espère quand même que j'ai encore un avenir. Parce que si ma copine voit que j'abandonne elle me méprisera encore plus. Parce qu'il me faut une raison de me lever le matin.
- Parce que je suis persévérant.
Je mens vraiment comme je respire.
- C'est de la merde. On perd notre temps, je veux faire quelque chose de ma vie.
- Tu fais chier.
J'ai une répartie de ouf.
- Oh, ça va, je sais pourquoi tu gueules.
Il sait vraiment pourquoi. Depuis des années qu'on est inséparables, Wollowitz joue le rôle du mec sociable dans notre binome. Les filles veulent coucher avec lui, les mecs veulent devenir ses potes, et souvent, moi, la pièce rapportée du binome, finit par m'intégrer parmi les amis de Wollowitz. Mais des amis personnels, comment dire... j'en ai autant que Scyth a d'intuitions intelligentes au loup-garou. Paye ta sollitude.
- Regarde, ajoute t-il. Les étudiants en histoire. Ou Groucho Marx, là-bas. Ou l'Homme-qui-ne-parle-pas !
- Il n'est pas très causant.
- Ben, sinon, il reste Il Gratori !
Le gratteur, alias El Grator, alias Il Gratori. Juste devant nous dans l'amphi, passe les cours à se gratter l'arrière-train. Son regard me colle une trouille incroyable tant je vis avec la peur qu'il veuille me serrer la main.
- Demerde-toi. Fais-toi tes potes sans moi. Salut.
Me voilà seul.
Je joue avec l'alliance de ma main droite, je le fais tourner comme une toupie, trois fois par minute, soixante minutes par cours. C'est l'éclate. A gauche dans l'amphi, j'apperçois l'Homme-qui-ne-parle-pas, et je découvre qu'il fait exactement la même chose avec la sienne. Je le regarde. Il me regarde. Puis on recommence à jouer avec nos alliances. Rien à foutre, je vais jouer mon habituel rôle de gros con et advienne que pourra.
...
- Boris !
Un marxiste tendance " frères comiques " me poursuit dans un couloir.
- Yo. Toi c'est Groucho, c'est ça ?
- Je voulais te dire que j'ai particulièrement apprécié ton caractère coquardier...
- Mon quoi ?
- Ta truculence gauchiste, si tu préfères. Grand moment que celui ou tu as décrit Bernard Henri-Lévy comme un philosophe pour porteurs de mocassins
- J'admets que tu m'as scié avec ton exposé comme quoi les laics étaient des baltringues !
- Ta haine des socialistes, " couilles molles européistes ", n'a pas du te faire beaucoup d'amis !
- Tu veux qu'on reparle de ta tentative de réhabilitation du national socialisme durant le cours sur les droits de l'homme ?
Comme beaucoup de mecs d'extrême droite, Groucho Marx est relativement sympathique. Comme beaucoup de mecs d'extrême droite, Groucho Marx m'a vite assimilé à son camp, d'ou des remarques assez croustillantes de type " Laisse, Boris, on ne discute pas avec des progressistes " dignes de The Big Lebowski. Enfin, comme beaucoup de mecs d'extrême droite, Groucho Marx est assez intelligent pour s'être barré dès qu'il a pu.
- Comprends-tu, Boris, j'ai une opinion de moi-même suffisament haute pour penser que je devrais dépenser mon temps autrement que dans ces futilités.
Ils parlent bien, les réactionnaires. Je peux difficilement test.
- Si tu fous le camp, avec qui je pourrais pourrir les débats théologiques en discutant de l'athéisme de Satan ?
- Bah. Tu partiras bien toi aussi.
Il s'est tiré, je suis resté. Case départ.
Plus tard, j'ai passé la feuille de présence à l'Homme-qui-ne-parle-pas, qui m'a remercié. Je lui ai fait remarquer qu'il parlait, et que c'était une grande découverte. Il a souri mais n'a rien dit. Je n'ai pas compris si il me trouvait drôle, ou si je pouvais aller me faire enculer. Il n'a pas reparlé.
- Hé, Boris !
- Yo. Toi c'est Kirbis, c'est ça ?
- Ouais. Comment je t'ai trouvé puissant quand t'as traité le Dalai-Lama de trou de balle véneré par d'autres trous de balle !
- J'étais moins en forme que toi quand tu as expliqué les bienfaits de l'esclavagisme !
- Ta sortie sur Finkielkraut " vieux réac de mes couilles " m'a bien fait rire.
- Que dire de ta réponse " des grosses tarlouzes donneuses de leçons " sur les caractéristiques des leaders écologistes !
J'appelle Kirbis comme ça parce qu'il est par certains aspects proches de Kirby : malin, moche, titulaire d'un diplome d'histoire ainsi que d'une voix absoluemnt ridicule, Kirbis se démarque de Kirby par une quinzaine de kilos superflus qui lui donnent une sorte de charme atypique, et par son positionnement politique chaudakhien ( " le mec le plus à droite de toute la fac d'histoire, ce repère à communistes dégénérés ! " ) qui le conduit à choquer mêmes les juristes.
Plusieurs semaines à ses côtés se traduisirent concrètement par une longue série de victoires de ma part au puissance 4 : 9-3 en note de synthèse, 12-5 en culture générale, 10-2 en anglais ( " forcément, t'es juriste, t'as rien branlé de ta vie à part jouer au puissance 4 ! " ). Et puis, Kirbis est parti aussi.
- Non, je peux plus. Même dire des conneries, ça ne compense plus.
- Tu viens d'expliquer aux gens que les écolos devraient pédaler si ils n'aiment pas le nucléaire...
- Non mais là c'est pas pareil : je le pense vraiment. Mais les cours là... c'est trop de la merde. Au moins, en histoire, quand on te mène au chomage, on te file un diplome pour compenser.
Kirbis s'est donc barré à son tour, et j'ai recommencé à jouer avec mon alliance.
L'Homme-qui-ne-parle-pas a esquissé un sourire et s'est approché de moi.
- Salut. Moi, c'est Nico.
Je savais que j'aurais du le tenir, ce putain de pari de vingt euros comme quoi il parlait vraiment.
- Yo. Moi c'est Boris.
- Je suis juriste et je viens de Nevers...
- Ca commence mal : on partage les deux pires défauts existants.
Il se marre. Je me mets à regarder la fenêtre, et il me dit :
- Je sais pas toi, mais il y a des jours, je me demande ce que je fous là.
- Tu es nazi ? Antisémite ? Pédophile ?
Regard inquiet.
- Euh, non, pourquoi ?
- Je sais pas. Je crois que j'ai du mal à me faire des amis normaux.
Boris.
___________________
|